SOMBRE PRÉSAGE

Une fois n'est pas coutume, Nathanaëlle bouscula son amie. Elle avait monté et descendu les escaliers au pas de course, ralentissant parfois pour s'assurer que les derniers de la file suivaient toujours. Puis elle avait entendu le bruit d'une porte pivotant sur ses gonds, et avait accéléré. Bien lui en avait pris. Arthémise se trouvait à l'entrée d'une petite pièce envahie par les livres, de laquelle un vieil homme la fixait en riant. Sa bouche, édentée, faisait peur à voir de même que le reste de sa personne.

S'il avait fallu parier sur l'identité du vieillard, la semi-elfe n'aurait pas hésité longtemps. Elle était presque sûre qu'il s'agissait de Barjow l'Ancien. Elle le jaugea du regard. Peut-être avait-il des informations, ou peut-être pas. Dans tous les cas, cet homme était instable et potentiellement dangereux. Pour cette raison, et parce que son instinct la trompait rarement, la guerrière avait repoussé Arthémise et pris sa place dans l'embrasure de la porte. À présent, elle se trouvait entre ses amis et toute menace. Sans doute, ses camarades n'accepteraient-ils pas cette attitude. Ils seraient probablement vexés, la vampire la première. Mais cela, Nathanaëlle s'en fichait. Pour l'heure, seule comptait leur sécurité.

Elle savait, par expérience, que la personne la plus inoffensive du monde pouvait dévoiler des ressources insoupçonnées si elle était poussée dans ses derniers retranchements, alors que dire d'un homme qui vivait seul dans les tréfonds d'une bibliothèque, que tout le monde disait fou et qui ne faisait rien pour le nier ?

Face à Maddie, quelques jours plus tôt, la guerrière avait été seule. Ce n'était plus le cas à présent, et en cas de combat leur nombre aurait sûrement raison du vieillard, quels que soient les tours qu'il employait. Mais l'on n'était jamais trop prudent, un poignard aurait si vite fait de voler, ou un sort de traverser la pièce pour atteindre ses compagnons ...

L'elfe se décala de manière à ce que l'homme ne puisse plus apercevoir aucun de ses camarades. Eux non plus, de fait, ne pouvaient pas le voir, mais ce n'était pas forcément une mauvaise chose.

- ... Êtes-vous celui que l'on appelle Barjow l'Ancien ? La main de la jeune fille était posée sur le pommeau de son épée, prête à dégainer au moindre problème.Je me nomme Nathanaëlle, et je voudrais vous poser quelques questions. Elle jeta un regard derrière son épaule pour intimer au reste de la troupe silence et immobilité. Mes amis et moi ne vous voulons pas de mal. Juste parler un peu avec vous.

Pendant les quelques secondes qu'avaient duré l'intervention de Nathanaëlle consistant à venir se placer devant ses camarades et à apostropher sans détour le vieil homme, le sourire de celui-ci n'avait cessé de croître jusqu'à lui fendre littéralement le visage. Et, à peine la jeune guerrière eut-elle terminée son intervention, que de nouveau il s'esclaffait bruyamment de son étrange rire grinçant. Malheureusement le dernier éclat de rire se termina sur une horrible quinte de toux. Déséquilibré, l'homme commença à battre des bras en tous sens,tentant de recouvrer son équilibre précaire sur une jambe, sans pour autant cesser de tousser. Il fallut de longues secondes pour qu'il se remette d'aplomb, les bras tendus au dessus de sa tête, telle une danseuse classique. Il tourna alors de nouveau son regard vers Nathanaëlle et la fixa de longues minutes. Lorsqu'il ouvrit la bouche, sa voix ressemblait au grattement d'une plume mal taillée sur un parchemin.

- Oh mais le vieux Barjow sait que ses invités ne lui feront pas de mal. Dit-il en adressant un étrange clin d'oeil à la guerrière. Car le vieux Barjow sait ce que la jeune semi-elfe est venue faire ici. Il sait quelle sera sa demande...

Ramenant alors ses bras devant sa poitrine, il posa délicatement son deuxième pied au sol, entre deux piles de livres puis il fit signe à la jeune femme d'avancer vers lui, l'oeil brillant.

Approche ! Approche, jeune fille.Dit-il en faisant bouger son doigt devant lui. Approche et viens écouter ce que le Vieux Barjow va te dire. Car oui... Siffla-t-il entre ses dents en dansant d'un pied sur l'autre, le Vieux Barjow sait qui vous êtes. Le Vieux Barjow savait que vous viendriez. Le vieux Barjow vous connait tous ! TOUS !Cria-t-il soudain avant de se tourner vers Nathanaëlle, pointant sur elle son doigt maigre. Toi, jeune elfe guerrière et magicienne, tu es Nathanaëlle d'Aymery de Felyzya et ton courage n'a d'égale que ton intelligence. Toi ! Arthémise Krovelvy, derrière la beauté farouche tu caches ta condition... de vampire. Lâcha-t-il sans la moindre hésitation, son regard posé sur la jeune femme, derrière Nathanaëlle.

Puis il tourna son visage émacié vers la porte et en trois bonds agiles, il y fut. S’appuyant nonchalamment sur le chambranle, il jeta un oeil amusé sur le palier et apostropha les trois hommes.

-Noble Anarion Curufinwë, entre donc et daigne honorer le vieux Barjow de ta présence elfique. Dit-il d'un ton ampoulé en esquissant une ébauche de révérence. Quant au non moins noble Reyan de Ker Brisac, même si tu caches ton ascendance sous ta ruse et ton humour, le vieux Barjow voit tout ! Ah ah ah ah ! Oh et toi, Donovan Draconile, approches jeune humain. Toi et ton jeune compagnon magique êtes les bienvenus. Allons ! Venez, venez ! Le Vieux Barjow vous attendait !
Et il s'éloigna d'un pas vif pour son âge,bondissant, sautillant entre les piles de livres, jusqu'à reprendre sa place au centre de la pièce, attendant qu'ils le rejoignent.

Pendant la promenade épuisante de le labyrinthe intérieur, Donovan se demandait à quoi avait-il servit depuis le début de l'épopée, à part amener des biscuits, il avait proposé de la lumière aux membres qui en avaient le moins besoin. Il pensait au fait qu'il ne savait rien faire de spécifique, il ne savait même pas pourquoi Nathanaëlle lui avait demandé de venir. Au cours de la marche, il ralentissait le pas et laissait les autres passer devant lui. Perdu dans ses pensées il manqua de marcher sur Eldurulfur qui disparut immédiatement. Un autre mystère pour lui qu'était ce louveteau. Pourquoi apparaissait-il de façon si aléatoire et pourquoi ne l'écoutait-il presque jamais. Entre ça et son manque d'utilité à la quête, Donovan se demandait s'il n'était pas un poids pour l'équipe, il se décida à rester en retrait, pour éviter de faire des bourdes ou pour ne pas donner l'impression d'être important et indispensable alors que ce n'était clairement pas le cas. Il diminua la puissance du feu qui lui servait de lumière, il était maintenant dans l'obscurité, à quelques pas des autres mais restant en retrait, il pouvait se repérer grâce à la torche de Reyan. Il avançait doucement, tout en pensant à ce qui occupait son esprit, il évitait de trébucher ou de trop lambiner. Il restait silencieux et était si préoccupé dans ses pensées qu'il n'avait pas remarqué que tout le monde s'était arrêté devant une porte, il ne disait rien et attendait. Il entendit un homme parler et une silhouette apparut dans l'ouverture d'une porte. Il nommait les membres du groupe et Donovan fut surpris d'entendre son nom. Il n'avait jamais vu cet homme de toute sa vie et ce dernier le connaissait, c'était un peu inquiétant dans un sens. Ne sachant quoi faire, il décida de ne rien faire pour éviter de faire une bêtise. Mais comme s'il l'avait entendu penser, Eldurulfur, fit son apparition, et dépassa les membres du groupe pour aller près de l'ancien. Donovan ne voulant pas débarquer dans la salle sans y être clairement invité resta à sa place. Mais inquiet pour le louveteau, il avança en poussant gentiment les gens en s'excusant pour se retrouver au niveau de la porte ouverte pour surveiller l'animal. Le louveteau remuait la queue devant l'inconnu et semblait vouloir jouer.

Nathanaëlle ne savait trop quoi penser. Le vieux Barjow avait l'air d'être aussi fou qu'on le disait, peut-être même plus encore. Cependant il semblait cacher en lui une part de raison, de savoir, ce que la semi-elfe ne s'expliquait pas. Comment pouvait-il savoir ces choses sur eux ? Était-il en contact avec Maddy la Rogue ? Était-ce elle qui l'avait prévenu de leur arrivée ? C'était peu probable. Maddy n'était pas du genre à aider les gens pour le plaisir, ni à leur fournir des renseignements gratuitement. Et si Barjow avait des espions ?

Non, vraiment, rien de tout cela n'avait de sens. Ils étaient censés se trouver face à un vieillard décérébré, et au lieu de ça ils discutaient avec un vieux bonhomme qui paraissait bien au courant ... Cela le rendait tout de suite plus dangereux. Nathanaëlle doutait qu'il puisse se battre, dans sa condition physique, contre des jeunes gens bien entraînés comme eux, mais puisqu'il était plus rusé qu'escompté il pouvait leur avoir tendu un piège.

Dès lors, était-il prudent de s'avancer vers lui comme il le demandait pour lui faire la conversation ? La guerrière pesa le pour et le contre, et finit par décider qu'ils ne pouvaient pas se permettre de repartir les mains vides. Quitte à être arrivés jusque là, autant faire ce qu'il fallait pour obtenir les informations qu'ils étaient venus chercher.
Mais il ne fallait pas pour autant oublier toute prudence. Tous ne devaient pas entrer dans cette pièce, au cas où les choses tourneraient mal.

La semi-elfe avait une totale confiance en ses compagnons, à une exception près, et savait qu'ils sauraient se montrer prudents et raisonnables. Aucun d'eux n'était stupide, et tous réfléchiraient sûrement avant d'entrer dans la pièce.

Nathanaëlle fit un pas vers Barjow, et elle s'apprêtait à en faire un autre lorsque Eldurulfur fit son apparition. Il arriva d'on ne sait où et vint se poster aux pieds du vieux fou. Presque immédiatement, l'elfe entendit Donovan arriver dans son dos et prendre position près du chambranle de la porte. Sans doute voulait-il garder un oeil sur son imprévisible loupiot ...

La semi-elfe fit volte-face et le foudroya du regard. De toute la petite bande, il était aux dernières nouvelles le moins puissant. Donc, si quelqu'un devait rester à l'arrière de la file et ne pas se montrer, c'était bien lui. Elle espéra qu'il ait compris le message et reprit sa marche vers le centre de la pièce. Arrivée près du vieillard, elle baissa les yeux et accorda au loup étrange le même regard qu'à son maître.

Lorsque l'étrange louveteau vint se planter devant lui, l'air inquisiteur et la queue frétillante, le vieil homme ne bougea pas d'un pouce. Toujours debout, dans cette étrange position qu'il semblait affectionner, il ressemblait à une statue. Une statue avec des yeux. Des yeux au regard profond qui se posèrent alors sur Donovan.
Puisque son loup était venu jusqu'au vieillard, peut-être que le magicien le suivrait ? Une étincelle sembla s'allumer dans les étranges yeux jaunes du bonhomme lorsque le jeune mage se mit en mouvement. Cependant, Donovan s'arrêta au niveau de la porte, semblant attendre quelque chose... ou... quelqu'un...

Cette fois, le vieil homme tourna la tête, posant son regard nébuleux sur la guerrière, comme s'il attendait d'elle qu'elle fasse le premier pas. Et c'est ce qu'elle fit. Et le sourire édenté revint sur les lèvres minces du Vieux Barjow. Il ne dit pourtant rien, la laissant venir avec circonspection jusqu'à lui. Ce n'est qu'une fois que Nathanaëlle fut plantée devant lui, fusillant le jeune loup du regard, que le vieillard éclata d'un nouveau rire.

- La chef ! C'est la chef ! Nathanaëlle c'est la chef ! Chantonna-t-il en se mettant à danser d'un pied sur l'autre. Et la chef est venue jusqu'au vieux Barjow. Les autres peuvent venir sans risque maintenant. Vont-ils venir ? Demanda-t-il en braquant soudain ses yeux jaunes sur Anarion, Arthémise, Donovan et Reyan, restés en retrait.

Il tourna une fois sur lui-même puis, revenu à sa position initiale, recommença à les observer les 4 aventuriers en plissant les yeux. Il resta ainsi de longues secondes puis repartit d'un grand éclat de rire qui finit en quinte de toux.

- Ils n'osent pas ? Demanda-t-il lorsqu'il se fut calmé. Et pourtant... et pourtant le Vieux Barjow n'est pas dangereux. Non, pas dangereux du tout, mais il sait beaucoup de choses. Oh oui, beaucoup... Il laissa planer un silence avant de reprendre avec un air de conspirateur : Il sait ce que vous venez faire ici. Il sait ce que vous attendez du Vieux Barjow. Il connaît le secret des Eaux Troubles ! Laissa-t-il finalement tomber d'un air triomphal.

Légèrement caché par l'obscurité dans laquelle il se tenait, derrière ses camarades, Reyan n'avait rien perdu de la scène. Figé dans attitude qui se voulait détendue et nonchalante, une main sur la hanche, l'autre négligemment posée sur le mur, seul ses yeux vifs qui suivaient le moindre mouvement dans et hors de la pièce, indiquaient que le Roublard était en pleine analyse. Quiconque aurait été assez rapide pour saisir un de ses regards aurait peut-être pu voir tourner, derrière les iris noisettes, les rouages de son cerveau.

Première constatation : la belle femme rousse avait pris les devants et avait ouvert la porte sans attendre les consignes de Nathanaëlle. Cela pouvait vouloir dire deux choses : Soit elle affirmait par ce geste qu'elle ne reconnaissait pas l'elfe comme chef de groupe - ce qui pouvait s'avérer intéressant en cas de litige nota t-il dans un coin de son cerveau ; soit elle se sentait suffisamment en confiance et sûre de ses talents, quels qu'ils soient, pour faire prendre un risque à tous le groupe. Là encore, l'information était intéressante et impliquait deux possibilités : soit elle était vraiment puissante et serait un véritable atout pour la bande, soit elle se surestimait, et là, cela pouvait devenir problématique. Mais une fois encore, si la première hypothèse se vérifiait... Reyan confia cette première constatation et toutes les déductions et possibilités qu'elle engendrait à un coin de son esprit. Il y reviendrait plus tard pour classer les résultats.

En attendant, il avait plus intéressant à observer. Car la porte s'était ouverte sur un singulier individu.
Les lèvres du roublard s'étirèrent en un sourire filou. Il aimait ce genre de personnage, à la fois haut en couleur, un peu perché, souvent complètement fous mais en même temps secrets, mystérieux et infiniment plus intelligents qu'ils ne le laissaient paraître. Le jeune roublard à l'éternel sourire insouciant était bien placé pour le savoir.
Son regard se fit plus acéré alors que que l'étrange vieillard prenait la parole pour répondre à l'invective de Nathanaëlle.

Comme il l'avait imaginé, le vieil homme en savait plus long que ce que sa dégaine débraillée et son air de fou laissait penser. D'ailleurs, il en savait peut-être même trop, songea le roublard alors que le vieillard récitait leurs noms, titres et races, déballant par la même occasion quelques secrets plus ou moins bien gardés de chacun. Il classa ainsi les informations numéro deux, trois et quatre, à savoir le nom de famille de Nathanaëlle, l'ascendance d'Anarion et la particularité d'Arthémise, dans leurs tiroirs respectifs de son esprit. Il y reviendrait plus tard, lorsqu'il saurait quoi en faire, songea-t-il en fronçant les sourcils lorsque le vieux Barjow évoqua son propre cas. Il se recomposa bien vite une attitude nonchalante bien que son sourire eut légèrement perdu de sa superbe. S'il aimait farfouiller dans les secrets des autres, il n'appréciait pas que l'on dévoile ses petits coins d'ombres.

D'ailleurs, cela l’amenait au constat numéro deux : Le vieil homme en connaissait bien trop sur eux. Que savait le bonhomme exactement ? Et jusqu'où comptait-il aller dans ses révélations sur eux ? Et surtout, d'où tenait-il ces informations si personnelles ? Soit il y avait quelque chose de magique là dessous, ce qui ne voulait pas dire sans danger, soit il était plus retord qu'il en avait l'air et possédait des espions en ville. Des espions très doués alors. Plus doué que le roublard. Et ça, c'était quelque peu alarmant. Reyan dédia une nouvelle partie de son cerveau à l'analyse de tous ses souvenirs depuis son arrivée à Sinastra. Soit il trouverait la trace des potentiels espions, soit cela éliminerait une hypothèse.

Il se concentra donc sur la décision à prendre dans l'immédiat. Devaient-ils répondre à la sollicitation de l'étrange vieillard ? Le louveteau de Donovan semblait de cet avis. A moins que l'animal magique ne soit tout simplement dépourvu d'intelligence. (Nouvelle hypothèse dans le tiroir du loupiot). Puis ce fut Nathanaëlle qui s'avança. Là, Force lui était de constater qu'il ne s'agissait pas de manque d'intelligence. Il avait bien plusieurs adjectifs pour qualifier la jeune elfe mais stupide n'en faisait pas partit. La guerrière devait répondre à son instinct ou à une logique propre.
Réprimant son envie d'aller se mêler à la conversation, il opta pour un exercice d'observation. Qu'allait faire la fougueuse semi-elfe ? Plusieurs conjonctures lui traversèrent l'esprit, qu'il balaya d'un clignement de paupière. Observer. Seulement observer.

- La chef ! C'est la chef ! Nathanaëlle c'est la chef ! Et la chef est venue jusqu'au vieux Barjow. Les autres peuvent venir sans risque maintenant. Vont-ils venir ? S'exclama alors leur hôte avant même que la jeune fille ne fasse quoi que ce soit.

"La chef !" Il avait dit "la chef" ! Et bien que Reyan reconnaissait l'elfe comme la meneuse de leur petite bande et qu'il en avait prit son partit, il fut quelque peu piqué au vif dans son orgueil. Peut-être étais-ce là une réminiscence de sa haute naissance et de son éducation noble, lui fit remarquer son cerveau. Il fut tenté de balayer cette remarque comme les précédentes mais il était toujours bon de se connaître soi-même et il classa l'information dans un de ses tiroirs les plus secrets.

Le vieux Barjow avait posé son étrange sur eux et Reyan se sentit comme transpercé par les yeux jaune de l'homme. Il lui sembla un instant que celui-ci lisait en lui comme dans un livre ouvert et il en ressentit un léger sentiment de malaise qui le poussa à réfréner ses ardeurs et repousser le moment de son intervention.
Après un second regard scrutateur, le vieillard reprit sa tirade sur le même ton, continuant à dévoiler secrets et mystères comme s'il s'agissait de blagues d'écoliers sans importance.

- Ils n'osent pas ? Et pourtant... et pourtant le Vieux Barjow n'est pas dangereux. Non, pas dangereux du tout, mais il sait beaucoup de choses. Oh oui, beaucoup... Il sait ce que vous venez faire ici. Il sait ce que vous attendez du Vieux Barjow. Il connaît le secret des Eaux Troubles !

Cette fois le Roublard ne put se retenir. Après-tout, il y avait un temps pour la réflexion et un pour l'action. Et il était un homme d'action. Laissant tomber le flegme et la nonchalance, il repoussa ses camarades et franchit en quelques enjambées l'espace qui le séparait du vieil homme. Il se posta à côté de Nathanaëlle et, bravant les étranges iris jaunes, planta ses yeux dans ceux du Vieux Barjow.

- Eh bien ! Puisque vous savez tant de choses et que vous semblez si désireux de dévoiler des secrets, dîtes-le nous. Lança-t-il d'un ton volontairement bravache. Quel présage se cache donc derrière ces eaux noires ?

Le vieil homme ouvrit de grands yeux globuleux et prit une mine effarouchée en regardant le roublard s'approcher à grandes enjambées. Planté devant lui, poings sur les hanches, le jeune homme semblait bien sûr de lui avec son air bravache et ses cheveux ébouriffés. Cependant le vieillard ne se laissa pas démonter et rendit à Reyan son regard, sondant de ses iris jaunes les yeux noisettes du roublard.

De longues secondes s'écoulèrent sans un bruit, sans un mouvement.
Et soudain, le vieux Barjow se remit à rire. Il se gaussa pendant quelques temps, se tenant les côtes de ses deux mains, plié en deux dans son hilarité. Puis il se redressa, aussi soudainement qu'il avait éclaté de rire. Sérieux comme un pape, il adressa un regard soutenu à Nathanaëlle, provocateur à Reyan et dédaigneux aux trois autres.

- Messire De Ker Brisac n'a pas écouté ce que le Vieux Barjow a dit. Énonça-t-il alors sur un ton moralisateur, en agitant son index devant le jeune homme. Le vieux Barjow a dit qu'il connaissait le secret des eaux troubles, pas qu'il savait quel présage elles apportaient. Nuance. Ajouta-t-il en se penchant vers Reyan. Le vieux Barjow pensait qu'un jeune noble élevé chez les elfes serait plus intelligent que cela. Laissa-t-il finalement tomber d'un air condescendant.

Puis, délaissant totalement le roublard, qu'il ne semblait pas juger digne d'intérêt, il se pencha vers Nathanaëlle.

- Le vieux Barjow sait que la fontaine est magique. Les eaux se colorent pour annoncer quelque chose. Joie, prospérité, menace, mort... Ce que le vieux Barjow ne sait pas c'est quelle couleur correspond à quel message.Expliqua-t-il posément à la guerrière.

Puis il fit un bond en arrière et se remit à danser au milieu de la pièce, sautillant entre les livres.

- Mais ce que le vieux Barjow ne sait pas, il peut le trouver dans un liiiiiiiivre ! Hurla-t-il alors en tournoyant sur lui-même.

Il esquissa encore quelques pas de danse puis revint se planter devant Reyan qu'il empoigna par le col de sa cape avant de lui souffler au visage :

- Allez chercher le livre ! Trouvez le livre et le Vieux Barjow vous livrera le secret des Eaux Troubles !

Donovan fut transpercé par le regard de son amie. Il se sentait coupable et désolé, il regarda son louveteau et lui fit comprendre de disparaitre immédiatement. Le louveteau disparut et Donovan senti un regard se poser sur lui. C'était le vieil homme, il le fixait du regard. Ne se sentant pas très à l'aise, le mage recula de quelques pas. Il n'aimait pas attirer l'attention sur lui, cela n'était pas souvent bon signe. Mais, alors qu'il voulait se faire oublier, un membre de l'équipe pensa l'inverse. Le jeune homme qui semblait s'appeler Reyan, avança à côté de Nathanaëlle et lança à l'ancien une remarque que Donovan jugeait déplacé. Le jeune pyromancien ne savait pas si c'était par confiance en Nathanaëlle ou par manque de courage mais il ne voulait pas du tout que l'un des membres n'interfère entre la semie-elfe et l'ancien. Cela risquait d'envenimer la situation et la piste qu'ils avaient pourrait disparaitre. Donovan, trouvait celui qui semblait être un vagabond bien téméraire vu la situation. Mais il espérait que le vieux Barjow n'allait pas prendre en compte cet acte qui pouvait être vu inapproprié.
Mais, à la grande surprise le vieux répondit au vagabond qu'il ne savait pas, qu'il l'avait dit et en profita pour se moquer du manque d'attention de Reyan.

Ensuite le vieux indiqua qu'il fallait l'information qui était dans un des livres, mais des livres il y en avait bien trop, cela leur prendrait un temps infini de trouver l'information. Donovan s'approcha et entra dans la pièce en restant derrière Nathanaëlle et Reyan. Il observait et attendait de voir ce qu'il allait se produire.

- Le vieux Barjow a dit qu'il connaissait le secret des eaux troubles, pas qu'il savait quel présage elles apportaient. Nuance.

Évidemment. C'était trop beau pour être vrai. Était-ce trop demander qu'une fois, rien qu'une fois, quelqu'un leur donne l'information qu'ils recherchaient, comme ça, sans complication ni détour ? Il fallait croire que oui. La jeune elfe soupira. La journée s'annonçait longue.

- Le vieux Barjow pensait qu'un jeune noble élevé chez les elfes serait plus intelligent que cela.

Tiens tiens. Voilà une information qui était intéressante ! Nathanaëlle l'enregistra dans un coin de son esprit, se promettant d'y revenir plus tard, et fit face de tout le self-contrôle dont elle était capable pour ne pas montrer son étonnement.

- Allez chercher le livre ! Trouvez le livre et le Vieux Barjow vous livrera le secret des Eaux Troubles !

La guerrière ne laissa rien voir de sa lassitude. Le vieux voulait un livre ? Il l'aurait. Si c'était nécessaire pour obtenir des réponses, alors ils le feraient.
Elle rendit son regard à Barjow, et lança à Donovan un léger sourire. Le pauvre avait l'air de franchement se demander ce qu'il faisait là. À vrai dire, Nathanaëlle commençait à se poser la même question.

- ... De quel livre s'agit-il ? Et où pouvons nous le trouver ?

Elle se prit à espérer que la réponse du vieux serait claire et compréhensible. Il était bien capable de leur soumettre une charade ...

Donovan répondit au sourire de Nathanaëlle et n'attendit pas la réponse de l'ancien. Il s'éloigna un peu dans un des coins de la pièce et s'agenouilla, il demanda à son louveteau d'apparaitre et ce dernier l'écouta. Donovan lui demanda de rester sage et de bien vouloir l'écouter, ils auront peut-être besoin de son aide. Il demanda au louveteau de rester là où il était pour le moment.

Donovan, se releva et en profita pour observer les membres de son équipe. Il y avait Nathanaëlle, il n'avait fait sa rencontre qu'il n'y a peu mais l'appréciait déjà beaucoup, il lui faisait confiance mais avait peur de n'être qu'un fardeau dans cette aventure. Puis, il y avait Reyan, il ne le connaissait pas. Il n'aimait pas juger les gens sans connaitre, mais avait des difficultés avec le comportement de celui qui lui faisait penser à un vagabond. Ensuite venait Anarion, il ne le connaissait pas du tout, n'avait rien remarqué d'inhabituel. Cependant sa présence faisait penser à Donovan que la guerrière ne l'avait pas invité pour rien. Enfin, Arthémise, une jeune femme appréciée par Donovan mais encore plus par Eldurulfur. De ce que Donovan connaissait de la jeune femme, sa présence était plutôt bon signe. Mais il se rendait compte qu'il était le point faible de l'équipe. Il comptait donc sur son louveteau pour ne pas faire de bêtises. N'ayant pas porté attention à ce qui se passait et ne sachant pas si l'ancien avait répondu, il s'approcha doucement de Nathanaëlle.

- Dis, j'étais perdu dans mes pensées désolé, que doit-on faire du coup?

- Messire De Ker Brisac n'a pas écouté ce que le Vieux Barjow a dit.Le vieux Barjow a dit qu'il connaissait le secret des eaux troubles, pas qu'il savait quel présage elles apportaient. Nuance. Énonça le vieux sur un ton moralisateur, en agitant son index devant lui.

Reyan resta coi un moment.
D'abord parce que cela faisait bien longtemps que personne ne l'avait appelé comme cela -la dernière fois étant dans une autre vie qu'il avait laissé derrière lui - et ensuite parce qu'il ne s'attendait pas à une telle réaction. Il refit mentalement la discussion dans sa tête et force lui fut de constater que le Vieux Barjow avait raison. Il n'avait jamais prétendu connaître le secret des Eaux Troubles.
Le jeune roublard se mordit la lèvre - ça non plus il ne l'avait pas fait depuis très longtemps - ce qui était, chez lui un signe de mécontentement envers lui-même. Il aurait dû être moins impulsif et plus attentif se morigéna-t-il.

-Le vieux Barjow pensait qu'un jeune noble élevé chez les elfes serait plus intelligent que cela. Laissa-t-il finalement tomber d'un air condescendant.

Cette fois c'est pour ne pas répliquer quelque chose de cinglant qu'il se mordit la lèvre.
Ainsi donc le vieux fou avait l'intention de dévoiler tous ses secrets les uns après les autres. Très bien, il en prendrait son partit mais ne lui ferait pas le plaisir d'en prendre ombrage. C'était justement ses maîtres elfiques de la Forêt de Mor Brisac qui lui avaient appris à rester maître de lui-même en toute circonstances. Il prit une grande inspiration et fit le vide en lui, évacuant toute la contrariété que cette déclaration avait provoqué en lui.
Reprenant contenance, il nota l'éclair d'intérêt qui sembla traverser le regard de Nathanaëlle. Cette petite avait oublié d'être bête et il était prêt à parier sa cape de roublard que la jeune femme se servirait un jour de cette information.

En attendant, il semblait évident que le Vieux Barjow comptait sur eux tous pour accomplir une besogne à sa place. Reyan analysa cette information. De toute évidence le vieil homme vivait dans la bibliothèque et devait la connaître comme sa poche. Il devait donc, logiquement savoir où se trouvait le livre en question et, étant donné l'énergie et le dynamisme dont il avait fait preuve jusque là, il semblait en état d'aller le chercher lui-même. Alors pourquoi ? Pourquoi avait-il attendu qu'ils arrivent ? Après-tout, il semblait savoir qu'ils allaient venir, eux, et personne d'autre. Et il connaissait leur requête. Alors il aurait pu aller chercher son livre et se tenir prêt pour leur donner la réponse. A moins que...

Il reporta son regard noisette sur le visage du vieillard, à quelques centimètres du sien. Plissant les yeux, il tenta de discerner ce qui se cachait derrière les iris jaunes puis, sans à-coups, avec une infinie lenteur, il leva les mains, les posa sur celles du vieillard et, doucement mais fermement, lui fit lâcher sa cape.

Le vieil home tressaillit lorsque le jeune roublard posa ses mains sur sa peau parcheminé puis, avec une poigne ferme mais douce, il le força à lâcher prise. Pendant toute l'opération, le vieillard ne quitta pas le roublard des yeux. Il l'avait piqué au vif. Piqué dans sa curiosité et dans son amour propre, il le savait et en jubilait intérieurement. Mais l'heure n'était pas venue de le montrer.

- ... De quel livre s'agit-il ? Et où pouvons nous le trouver ?

Il tourna la tête vers la jeune elfe mais il sentait toujours peser sur lui le regard suspicieux du jeune homme. Celui-ci semblait avoir compris quelque chose. Le vieux Barjow rit sous cape. Tout se mettait en place.

- Oh, il s'agit d'un très vieux grimoire aux feuilles de vélin, relié d'un cuir blanc comme on n'en fait plus. Sa couverture ne porte aucune inscription et son dos s'orne de lettres tellement anciennes qu'il ne servirait à rien de vous donner son titre. Répondit-il d'un ton badin, tout en feignant de remettre de l'ordre dans un tas de vieux parchemins qui prenaient la poussière sur une poutre de la pièce.

- Il se trouve dans cette bibliothèque, bien entendu. Mais pour savoir où il se trouve, vous devez promettre... Ajouta-t-il avec un air de conspirateur. ... promettre au Vieux Barjow que vous irez le chercher.

La petite étincelle malicieuse revint pétiller dans les yeux noisettes du voleur. Même s'il n'avait aucun moyen d'en être sûr à cent pour cent, les dernières paroles du vieil homme tendaient à confirmer ses conjectures. En même temps que sa malice, le jeune homme vit reparaître son assurance.
Cette fois, il avait été attentif. Il avait bien écouté, observé, noté, relevant les mots, les intonations, les gestes... guettant le moindre signe et la moindre allusion dans les propos du vieillard. Et cette fois, il était plutôt sûr de lui. Ou du moins était-il sûr de ne pas faire deux fois la même bourde.

- Dooon... Commença-t-il d'une voix douce, presque basse, Vous nous demandez d'aller chercher un livre. Un vieux grimoire dont, de toute évidence, vous connaissez l'apparence. Et le titre, même si vous préférez le garder pour vous... Énonça-t-il comme s'il réfléchissait à voix haute. ... un grimoire dont vous connaissez la teneur, et l'emplacement. Un grimoire qui contiendrait la réponse à nos questions... Continua-t-il en faisant quelques pas vers ses camarades restés près de la porte.

Il posa sur Donovan un long regard appuyé. Le jeune homme semblait avoir du mal à comprendre ce qu'il se passait dans cette pièce et Reyan faisait des efforts pour parler le plus simplement possible afin de ne pas perdre le jeune mage qui ne semblait pas très dégourdi. Et soudain, ménageant son effet de surprise, il se retourna d'un bloc, regarda Nathanaëlle,puis le vieux Barjow, puis Nathanaëlle et lâcha enfin la question qui lui semblait la plus importante de toutes :

- Et pourquoi n'allez-vous pas le chercher vous-même ? En fait, Se reprit-il vivement afin d'empêcher le vieil homme de lui répondre comme la dernière fois, je suis même étonné que vous ne l'ayez pas déjà en votre possession. Après-tout... vous saviez que nous allions venir et que nous allions vous poser la question des Eaux Troubles, alors, puisque vous attendiez, vous auriez-pu vous le procurer tout simplement, n'est-ce pas ? A moins que...

Il ne termina pas sa phrase. Ce n'était pas à lui de la terminer. Il laissa donc sa phrase inachevée et se positionna de façon à pouvoir embraser toute la pièce du regard. C'était maintenant le moment de voir s'il avait atteint le double but qu'il s'était fixé avent de prendre la parole.

Depuis que la porte s'était ouverte, Anarion était resté en retrait, et ce pour deux raisons : déjà, il était fasciné par la porte en métal et par les inscriptions qui l'ornaient, et il voulait l'étudier de près ; et de plus il n'était guère enchanté par la connaissance d'eux qu'avait l'étrange vieillard. Certes, il ne payait pas de mine et avait l'air fou - et sans doute l'était-il - mais il y avait derrière sa folie une intelligence vive et un danger menaçant, comme une vieille montagne affaissée sous laquelle gronde un volcan. S'il avait été seul, il se serait planté devant l'homme et l'aurait assailli de questions, mais ce n'était pas le cas, et Nathanaëlle semblait maîtriser la situation. Il se permit donc de rester à l'arrière pour examiner la porte métallique, derrière Donovan et Arthémise.

A peine avait-il commencé son analyse qu'il en fut tiré lorsqu'une voix grinça son nom. Se retournant, il vit que le vieillard le regardait depuis le chambranle de la porte, l'air moqueur. Il ne lui restait plus qu'à accepter la demande, aussi s'avança-t-il dans la pièce, méfiant ; il se contenta cependant de passer la porte et d'en rester proche, préférant laisser sa liberté d'action à Nathanaëlle. Même quand le vieux les invita à s'avancer, il préféra rester à sa place. Il avait appelé la semi-elfe chef, et à ses yeux c'est ce qu'elle était à cet instant.

Cependant, peu à peu, la méfiance fut remplacée par l’intérêt. Entre le loup magique de Donovan, les connaissances troublantes du vieux fou, les questions de Nathanaëlle et l'attitude provocatrice de Reyan, il n'y avait pas de quoi s'ennuyer ! Il commençait à éprouver une réelle curiosité envers le vieux Barjow. Comment savait-il tout cela ? Avait-il des pouvoirs de divination ? Il ne put s'empêcher - et ne chercha pas vraiment à le faire - de regarder le voleur lorsque le vieillard dévoila ses origines, mille questions traversant sa tête. Cependant, lorsque le vieil homme mentionna le livre, celui-ci passa au premier plan de son esprit.

Anarion adorait les livres. Les gros, les fins, les vieux, les nouveaux, les manuscrits, les papyrus, les feuillets, tous ! Mais ce qu'il préférait, c'était les grimoires. Les vieux ouvrages traitant de magie, d'alchimie, de secrets obscurs oubliés de tous... Était-ce un livre comme cela que le vieux voulait obtenir ? Mais pourquoi ne l'avait-il pas pris lui-même ? Il s'avança d'un pas, la curiosité dépassant sa réserve, mais Nathanaëlle posa la question avant qu'il ait eu à le faire. Tant mieux. Il semblait que tous ceux qui parlaient au vieux voyaient leur passé être révélé, et cela ne l'enchantait pas vraiment.

Mais, étrangement, le vieil homme répondit normalement à la question de Nathanaëlle. En fait, son attitude était presque normale, ce qui n'avait pas du tout été le cas jusqu'à maintenant.

- Oh, il s'agit d'un très vieux grimoire aux feuilles de vélin, relié d'un cuir blanc comme on n'en fait plus, répondit-il d'un air apparemment nonchalant. Mais Anarion n'était pas dupe. Barjow jouait avec eux, cela semblait plus évident à chaque seconde qui passait. Et si l'elfe avait trouvé la façon d'agir du vieillard plutôt divertissante au début, il n'aimait pas qu'on joue avec lui. Sa couverture ne porte aucune inscription et son dos s'orne de lettres tellement anciennes qu'il ne servirait à rien de vous donner son titre.

Anarion se rengorgea intérieurement. Le vieux Barjow ne savait sûrement pas à qui il s'adressait... il avait appris à déchiffrer de très nombreuses langues au cours de sa longue existence. Puis il se rappela tout ce que l'homme savait sur eux, et il révisa son jugement. Peut-être ne saurait-il effectivement pas déchiffrer les antiques lettres.

Il résuma tout ce qu'il avait entendu depuis qu'Arthémise avait poussé la porte. Ils avaient tous appris un certain nombre de chose, y compris sur leurs compagnons, mais ils n'étaient pas vraiment avancés vis-à-vis de leur quête. Ce petit jeu commençait à devenir lassant et quelqu'un devait prendre les devant. Et comme s'il avait pensé la même chose - ce qui était probablement le cas - Reyan s'avança et passa une seconde fois à l'attaque, mais d'une manière plus intelligente que la dernière fois. Haussant un sourcil, Anarion révisa son premier jugement. Le jeune humain ne manquait pas de vivacité d'esprit, apparemment.

Vu la tournure que prenaient les évènements, rester en retrait lui était difficile ; mais il s'y efforça. Nathanaëlle était leur chef, et Reyan semblait s'être auto-proclamé porte-parole des autres membres du groupe ; il ne semblait pas judicieux qu'une troisième personne s'implique dans la conversation - ou plutôt la joute verbale - avec Barjow. Il en profita pour regarder, de ses yeux perçants, tous les livres et les parchemins disséminés dans la pièce, cherchant quelque chose d'intéressant. Il sentit un frôlement autour de ses chevilles, et, baissant la tête, il vit Fëanor s'étirer entre ses bottes. Le renard n'avait pas voulu entrer tant que le louveteau était dans la pièce, probablement par méfiance animale, puis lorsqu'il avait disparu il s'était allongé sur le sol. Il semblait maintenant que la curiosité l'ait poussé à suivre son maître.

- Et pourquoi n'allez-vous pas le chercher vous-même ? Demanda de manière très culottée, le jeune impertinent aux yeux noisettes.

Le vieux Barjow esquissa un mouvement de recul en roulant des yeux et posa sur le roublard un regard effaré. Il ouvrit la bouche pour lui répliquer quelque chose de bien senti mais le jeune homme ne lui en laissa pas le temps.

Je suis même étonné que vous ne l'ayez pas déjà en votre possession. Après-tout... vous saviez que nous allions venir et que nous allions vous poser la question des Eaux Troubles, alors, puisque vous attendiez, vous auriez-pu vous le procurer tout simplement, n'est-ce pas ? A moins que...

Cette fois le vieillard esquissa un sourire en coin ressemblant étrangement à celui de Reyan. Voilà ! Ça y était, le jeune homme reprenait ses esprits et se remettait à penser comme un vrai roublard. Il lui avait fallu un peu de temps mais apparemment cela en valait la chandelle.
Le vieil homme jeta un nouveau regard aux trois autres, toujours debout dans l’encadrement de la porte. Qui allait-il secouer cette fois ? L'elfe, la vampire ou le magicien ? Un dernier sourire énigmatique flotta un instant sur ses lèvres sèches puis il revint à Reyan.

Se recomposant une attitude de parfaite incrédulité mêlée de frayeur hystérique, il répondit au voleur en roulant des yeux hagards :

- MAIS LE VIEUX BARJOW N'EST PAS FOU !!! Hurla-t-il dans les oreilles du jeune homme. Ce serait bien trop dangereux. Oui, bien trop dangereux pour un homme seul et sans défenses... Non, le vieux Barjow n'est pas fou. Il n'ira pas là-bas.

Il appuya ses derniers mots en croisant les bras et en tapant du pied, tel un enfant buté. Puis il reprit son étrange posture sur un pied, mains jointes devant la poitrine, pour souffler, d'une voix calme :

- ... mais vous... oui !

Nathanaëlle ferma un instant les yeux, et son visage se crispa. Le vieux fou avait visiblement oublié qu'elle se trouvait tout près de Reyan, et que ses oreilles étaient bien plus sensibles que celles du roublard. Le cri lui avait vrillé les tympans, la prenant au dépourvu d'une bien désagréable manière.

Il semblait que, comme la jeune elfe l'avait prévu, leur tâche allait être plus ardue qu'espéré. Cependant ce n'était pas cette idée qui plongeait son esprit dans le doute, mais l'incertitude. Le fait d'aller chercher ledit livre les mettrait en danger. Mais quel type de danger ? Le manuscrit était-il protégé par un sortilège ? Par une armée d'hommes en armes ? Par le sosie de Lynaëlle ayant abusé de la liquer de framboise ?

Quel que soit ce danger, il était nécessaire d'en savoir plus avant de prendre une quelconque décision. Barjow avait été clair : le livre contre les renseignements. Il avait beau être psychologiquement instable, il semblait inflexible et ne changerait sûrement pas d'avis. Donc, il leur fallait le livre.

La semi-elfe jeta un oeil sur leur petit groupe d'aventuriers. Reyan semblait hardi et prêt à en découdre, il faudrait veiller à ce que sa vivacité d'esprit ne le pousse pas à prendre des décisions hâtives. Donovan ne maîtrisait toujours pas son louveteau, qui allait et venait à sa guise. Cela pourrait leur causer des soucis, à l'avenir. Arthémise n'avait pas bougé et Anarion, s'il avait amorcé un mouvement, ne s'était pas mêlé de leur conversation.

Un observateur extérieur aurait sûrement parié que seuls Reyan et Nathanaëlle étaient sur le pied de guerre, tant la différence d'attitude avec les autres était flagrante. Si les trois larrons restants avaient proposé à cet instant de s'asseoir par terre pour manger des cookies en attendant le retour du roublard et de la guerrière, celle-ci n'aurait été surprise outre mesure.

Elle soupira ostensiblement devant l'ampleur de la tâche qui l'attendait. Il allait falloir remotiver tout ce petit monde ...

Mais d'abord, ils devaient savoir à quoi ils s'engageaient. La semi-elfe s'adressa donc en premier lieu au vieux Barjow.

- ... De quel genre de danger s'agit-il ? Craignant que son interlocuteur ne se drape de mystère comme à son habitude ou leur réponde par un de ces rires déments dont il avait le secret, la jeune fille crut bon d'ajouter : Si nous devons partir chercher ce livre pour vous, la moindre des choses est que nous sachions à quoi nous attendre. C'est une condition sine qua non.

Son visage affichant sa détermination, elle croisa les bras dans une attitude de défi.

S'il avait été d'un tempérament vindicatif, Reyan aurait sans doutes jubilé. Le vieux Barjow venait de dire à voix haute ce qu'il espérait, confirmant ses soupçons et renforçant la confiance du jeune homme. En effet, il était clair pour lui que si le vieillard ne récupérait pas son livre lui-même, cela devait être la faute à un quelconque danger. Et c'était le cas.

Cependant il existait toutes sortes de dangers. Des dangers physiques, des dangers psychiques, des dangers mortels, des dangers proches ou lointains... La question était maintenant de savoir à quelle sorte de dangers ils étaient sensés s'exposer et surtout -deuxième question- si cela valait le coup.
Les pensées du roublard se remirent à tournoyer dans sa tête, échafaudant des plans, des théories, comparant les idées, rejetant les plus folles, étudiant les plus réalistes, observant avec circonspection les plus dangereuses... Il y avait tant de possibilités !
Et la première difficulté du roublard était qu'il n'avait aucune idée de ce qui pouvait se cacher dans cette bibliothèque. Certes, il y avait déjà mis les pieds, plusieurs fois. Sa dernière visite ayant eu pour but de subtiliser un vieux carnet de notes appartenant à un vieux marchand, soit-disant ancêtre de son client. Ce dernier cherchait une indication sur le lieu de la réserve secrète de marchandise précieuse de ce soi-disant ancêtre, du temps de la répression. Malheureusement, ledit carnet était si vieux qu'il lui manquait, comme par hasard, quelques pages parmi les plus intéressantes... Mais ceci est une autre histoire. D'un froncement de sourcils, Reyan renvoya la réserve secrète du vieux marchand dans son tiroir pour se concentrer sur Nathanaëlle.

L'elfe avait beau ne pas être capable de reconnaître sa valeur, elle n'en était pas moins intelligente, et avait posé, une fois encore, les bonnes questions.

... la moindre des choses est que nous sachions à quoi nous attendre. C'est une condition sine qua non. Déclara-t-elle avec cet air butté que Reyan lui connaissait bien.

Intelligente, mais bornée. La diplomatie ne semblait pas être le fort de la jeune fille remarqua le roublard en adoptant néanmoins la même position qu'elle. Après-tout, il fallait montrer front uni, surtout avec les trois autres qui oscillaient entre hésitation et oisiveté.

-oooooooooohhhhhhhhhhhhhhhhhh... Lâcha le vieux Barjow, les mains levées devant son visage crevassé, comme pour se protéger de la verve de Nathanaëlle.

- Ils sont prévoyant hein ?! Ils veulent savoir ce qui les attend... ils se croient plus malins que le Vieux Barjow peut-être... Souffla-t-il à mi-voix comme s'il avait totalement oublié leur présence à tous dans la petite pièce ou dans l'encadrement de la porte.

Il se mit alors à marcher de long en large, montant sur les piles de livres et butant dans les poutres basses. Il marmonnait dans sa barbe une litanie de paroles sans queue ni tête qui n'étaient, manifestement pas destinées à ses hôtes. Par moments, il s'arrêtait, scrutait le vide de ses yeux fous puis se remettait à marcher.

Au bout de longues minutes, il s'immobilisa enfin pour de bon, effectua un demi-tour tout ce qu'il y avait de plus militaire et vint se planter devant l'elfe et le roublard qui l'attendaient bras croisés.

- Sortilèges, enchantements, pièges, énigmes et bestioles. Voilà ce que vous rencontrerez sur votre chemin. Certains sont inoffensifs, d'autres encore si vieux qu'ils ne tiennent plus que par miracle, mais il en est quelques uns, bêtes comme sortilèges, qui ont été établis en des temps immémoriaux par les bâtisseurs de cette bibliothèque. C'est de ceux là dont vous devez vous méfier. Et pour cela, il faudra vous fier à votre instinct. En attendant...

Il se retourna, farfouilla dans une pile de parchemins et en sortit un petit morceau, tout déchiré. Des lettres d'abbaye sur les bords laissaient penser qu'il s'agissait sûrement d'un bout de page arraché à un vieux manuscrit.
Il le déplia et le tendit du bout des doigts à Nathanaëlle, dévoila au regard de la guerrière un plan grossièrement tracé.

- Vous devriez commencer par là ! Annonça-t-il finalement en désignant le coin opposé de la pièce où un regard avertit pouvait apercevoir, entre les poutres poussiéreuses et les piles de livres branlantes, les contours d'une petite porte de bois.

Les sautes d'humeur du vieillard commençaient à agacer l'elfe. Elle se maitrisa, cependant, et ne laissa pas son mécontentement transparaître sur son visage. Elle attendit calmement que Barjow finisse sa tirade, prit le plan qu'il lui tendait et porta son regard sur la porte de bois qu'il lui désignait. Elle s'en voulut de ne l'avoir pas remarquée plus tôt.

D'un geste de la tête, elle fit signe à Donovan de venir. Elle le fixa un instant, pensive, puis sembla prendre une décision.

- ... J'aimerais que tu restes derrière moi à présent. Peu importe ce qu'il se passe, arrange-toi pour ne jamais être en première ligne. Si pour une quelconque raison nous nous trouvions séparés, cherche Anarion. Il te protégera.

D'un regard à l'elfe, Nathanaëlle lui fit comprendre qu'elle lui faisait confiance pour défendre le jeune mage.

Elle fit signe à Arthémise de s'avancer à son tour, et lui désigna la porte.

- ... J'aimerais que nous avancions toutes deux de front. Nous nous connaissons suffisamment pour que je puisse avoir confiance en toi et en tes capacités.

Elle adressa un sourire d'excuse à Anarion. Elle n'avait pas voulu dire qu'elle n'avait pas confiance en lui, bien au contraire. Elle lui faisait confiance pour garder un œil sur Donovan.

Restait le cinquième larron. S'avançant, elle tendit au roublard la carte que Barjow venait de lui remettre.

- ... Je pense que ta place est à l'avant, en éclaireur. Je ne doute pas que tu saches lire une carte, et ton aptitude à te déplacer sans bruit et déverrouiller les portes nous sera fort utile.

Les rôles ayant été distribués, l'elfe se dirigea vers la porte et l'ouvrit. Elle se tint ensuite en retrait, attendant que Reyan passe le premier ou qu'il exprime une objection.

La porte s'ouvrit sur un couloir sombre -bien qu'éclairé en partie par la lumière de la pièce- qui devait sûrement être assez large sans les rayonnages qui l'occupaient, à gauche et à droite, laissant à peine la place à deux personnes de front. Les étagères en question montaient jusqu'au plafond et semblaient contenir des centaines d'ouvrages, tous sur le même format.

Le Vieux Barjow avait observé Nathanaëlle à la dérobée pendant qu'elle donnait ses instructions. Il semblait que la jeune elfe avait déjà réfléchit à son plan de marche, en se basant sur les aptitudes et capacités de chacun. Elle faisait preuve d'un sang froid et d'une réflexion intéressante pour quelqu'un d'aussi jeune.
Le vieillard sourit et posa ses yeux gris sur les autres membres de l'équipe. Donovan réagirait-il au fait d'être relégué à l'arrière, sous la protection d'un elfe ? Arthémise allait-elle enfin s'affirmer dans le groupe, maintenant que la guerrière lui avait avoué sa confiance à voix-haute ? Anarion se sentirait-il investit d'une mission à la hauteur de ses attente ? Et Reyan... Le vieillard s'attarda quelques secondes de plus sur la silhouette élancée du roublard. Qu'allait faire le jeune homme ? Prendrait-il sa place d'éclaireur comme un honneur ou une punition ? Dans tous les cas, cette aventure promettait de bonnes surprises.

Sans même attendre que ses invités soient partis, le vieux Barjow les laissa en plan au milieu de la pièce pour rejoindre un petit bureau enseveli sous une épaisse couche de parchemins, de cire et de poussière. Il envoya le tout au sol d'un revers de main et, s'asseyant sur une pile de vieux grimoires, se saisit d'une plume et d'un parchemin vierge qu'il commença à noircir d'une écriture fine et élégante.

Il n'adressa plus un regard au petit groupe d'aventuriers.