La lame brisée

[HRP = Ce rp prend place après les évènements arrivés avec Kéa : https://sinastra.forumactif.com/t31-quand-la-lumiere-appelle-la-lumiere-prive-ian-kea-rp-termine
Pour la faire courte, l'un des créateurs de Ian s'est réveillé, ce qui a compromit son existence et qui bascule sa condition d'être irréel.
Il a beaucoup changé, vous pouvez trouver ça sur le rp ou sur ma fiche de présentation ! Enjoy !]

-Alors petit ?

Un coup de tonnerre troubla le silence de la nuit. La pluie battante ruisselait dans les fissures des pierres grises des montagnes du Nord. Le vent s'engouffrait à travers la roche froide et humidifiée, faisant siffler son air menaçant. Ce son qui accompagnait les nuits les plus dangereuses de Sinastra, lorsque la nature réclamait enfin du calme, elle le faisait savoir de ce son qui voulait dire : "restez chez vous".

- On abandonne déjà ?

Sur la fine couche de neige propre aux premières hauteurs des montagnes, on pouvait distinguer de lourdes traces de pas sur quelques mètres, entourées de gouttes de sang de tailles et de formes irrégulières. Au bout de ces traces énonciatrices se tenait Ian, vêtu de bottes dépareillées et d’un pantalon déchiré sur le bas de sa jambe gauche, en dévoilant une partie. Le torse nu, affichant ses cicatrices plus ou moins anciennes, dégageant aléatoirement et très légèrement de petites lueurs blanchâtres. La tête baissée, la mâchoire fermée et les yeux clos, il tenait fermement de son bras gauche déchiré, à l’aspect brûlé et meurtri, son épée… sa fidèle épée dont le bout de la lame s’était fissuré.

Son autre bras pendait, laissant glisser de manière régulière de petites gouttes de sang le long de ses muscles dessinés par ses années d’aventures, qui venaient s’écraser contre la neige froide dans une légère fumée à peine distinguable. L’homme, affichait un visage dur et à bout de force, presque méconnaissable… qui pouvait savoir ce qui se tramait dans la tête du rêve ? Probablement même pas lui-même.

Un second coup de tonnerre gronda, l’homme ouvrit grand les yeux, colorés d’un blanc immaculé, comme habité d’une lumière intense et instable. Il lâcha son épée et poussa un cri tonitruant dans les hauteurs des montagnes. Un cri si brutal et sincère, qu’on aurait pu entendre le vent se taire un instant. L’on put distinguer un son plus lourd accompagner le cri, comme un écho de la montagne, un avertissement.

Ian se tût… ses yeux redevinrent d’un bleu éteint, presque gris. Une larme coula le long de sa joue, fissuré… comme le fil de sa lame.

***
Deux semaines étaient passées depuis les évènements des ruines. Cette nuit là avait été très intense pour le rêve. Il était impossible pour lui de trouver le sommeil depuis, tombant ici et là de fatigue à des endroits inopportuns.

Il avait de suite préparé ses affaires. Attrapant son épée, enfilant une tenue à l’aise et quelques victuailles dans un sac, il prit la route direction les montagnes, il croisa bon nombre de personnes qui restèrent bouche bée devant lui, pour ceux qu’ils le reconnaissaient… S’arrêtant par instant devant les lieux devenu mythiques et indispensables pour lui, comme la taverne des Os Enflammées, l’Auberge du Soleil, la grand place ou encore les portes. Tout lui semblait fade à présent, sans réel intérêt… il remettait tout en cause, jusqu’à son arrivée ici, il avait besoin de faire le point et de se retrouver… mais surtout de se calmer avant de crier sa haine contre le premier malheureux qui croiserait sa route, il ne voulait pas faire de vague dans la cité.

Les jours passèrent, il s’arrêta en chemin dans la forêt pour pratiquer l’un de ses entrainements musclés dont il avait le secret. Il était agréablement surpris d’une chose, sa récente transformation physique n’avait affecté en rien ses capacités. Néanmoins, il avait l’impression d’avoir gagné en force, mais cela était surement dû à la colère qu’il ressentait. Enchainant les postures de combats, frappant à plusieurs reprises avec hargnes dans les massifs arbres de la forêt qui tremblèrent jusqu’à leurs cimes. Il passa plusieurs jours à s’entrainer dur, comme pour évacuer sa haine et vérifier s’il avait toujours pleinement possession de son corps… plus il frappait plus il se sentait libéré mais plus il se sentait en colère, plus il se sentait instable et fragile dans ce monde, véritablement secoué par les évènements et par ces instabilités irrégulières.

Il le ressentait, par moment de la lumière semblait s’échapper de son corps, provoquant même parfois des petites douleurs aigues. Lorsque cela lui arrivait, il entendait des voix : les voix de ses amis disparus, les voix de ses ennemis vaincus ou enfuis, sa propre voix mais surtout celle de son père, le hantant, le défiant sans cesse. Toutes ces voix qu’il entendait ne sortaient pas de nulle part mais bien de ses souvenirs, ce n’était que des phrases qu’il avait déjà entendues. Comme si toute son histoire voulait sortir en même temps que sa lumière… son existence était devenue bien trop instable, il fallait qu’il trouve un moyen de se libérer.

Un jour, hurlant sa haine, il tomba à genoux au beau milieu de la forêt, déchirant vivement sa chemise et la déchiquetant en lambeaux. Il frappa à mainte reprise le sol dur, déchirant encore un peu plus la peau de ses mains et intensifiant sa colère à chaque coup.

-Sortez de ma tête !!! Dit-il avec hargne, sa voix transperçant le silence de ce lieu magique.

Il se leva avec vigueur et empoigna son épée avant de commencer une course effrénée en direction des montagnes. Esquivant les branches, se muant entre les arbres et sautant par-dessus leurs racines, il ne s’arrêta pas une seule seconde et arriva finalement sur les premiers chemins vers les hauteurs. La pluie commença peu à peu à accompagner ses pas, donnant au tableau une nouvelle couche d’angoisse et de désespoir.

Il ne tarda pas à rencontrer les premières roches, de manière vive il empoigna son épée par la lame, s’entaillant légèrement et dans un geste d’une extrême violence, il la jeta de toute ses forces vers la pierre dans laquelle elle se planta dans un bruit strident, effritant alors ladite arme. Arrivant à sa hauteur, il l’empoigna de nouveau et la retira avec force et détermination avant de continuer son chemin. Rien ne l’arrêtait, rien ne semblait perturber son chemin, pas de loup, pas de brigand, pas d’être maléfique ou magique, rien ne semblait vouloir se mettre sur la route de l’irréel, ce qui était plutôt surprenant vu comme il attirait généralement les ennuis à lui.

Il arriva rapidement aux premières hauteurs de la montagne, aux premières neiges et à son premier instant que l’on aurait pu définir comme calme… mais le tonnerre gronda et sa lame continua de se fêler.

***

Invité

[HRP : Ce RP à lieux pour Kéa après l'épisode dans l'auberge du soleil et avant le RP Obscur déchirement qui se déroule sur la Grande place.]

Kéa avait besoins de se sortir de Sinastra. Depuis la nuit qu’elle avait passée dans les ruines du château avec Ian, plus rien n’était pareil. Elle n’avait pas trouvé l’explication de ce qui leur arrivait. Pourtant, de son côté, elle avait essayé. Elle s'était rendu à la bibliothèque royale et avait cherché des heure pour finir dans les archives, mais rien, absolument rien ne lui avait permit d'entrevoir un début de solution. Elle s'était donc tourné vers les mages et les prêtres de la cité, mais jusqu'à présent cela n’avait pas porter ses fruits.

Elle n’avait pas revus l’être rêvé depuis cette fameuse. Elle ne savait pas ce qui lui était arrivé après l’avoir laissé. Pour sa part, elle était de plus en plus fatiguée et se retrouvait toutes les deux ou trois nuits à errer dans les ruines du château sans se rappeler de comment elle y était arrivée. Et chaque fois elle en ressortait un peu plus vidée.

Elle se sentait faiblir de jour en jour. Elle devenait irascible et s'était retrouvé plus d’une fois à parler avec violence à de parfaits inconnus qui lui demandaient simplement leur chemin. Elle ne pouvait plus supporter tout ça elle avait besoin de se sortir de la cité, de s'éloigner de ces ruines qui lui étaient nocives. Et peut être que les réponses a ses questions se trouvait ailleurs que dans la cité.

Sur un coup de tête, elle s'envola. Et pendant qu’elle volait l’orage éclata.

Elle se retrouvant coincée dans une épaisse couche de nuage dont l’électricité qui les emplissait l'a désorienté. Elle se laissa guider par un instinct qu’elle avait oublié. S’appuyant sur les courants et évitant la foudre de justesse. Elle ne savait pas où elle se trouvait. Elle essaya tant bien que mal de perdre de l’altitude pour voir ce qui se trouvait en dessous des nuages.

Elle fut surprise de voir les montagnes sous elle. Elle ne s’était pas rendu compte qu’elle était monté si haut en altitude ni qu’elle avait volé si loin de la cité. Elle se posa sur un sommet couvert de neige en même temps que la foudre le frappait un peu plus bas. Elle entendit un bruit de métal se fendant sous l’impact. Elle regarda le point de chute de la foudre et ne fut pas vraiment surprise d’y voir Ian.

Il était là. Une fois de plus, ils étaient réunis par une force qui les dépassait. Le, torse-nu, affichant un certain nombre de cicatrices d’où s'échappait par intermittence une lueur blanche. Comme si sa lumière cherchait à s’échapper de lui. Il portait des bottes dépareillées et son pantalon était déchiré mettant sa jambe gauche à nue. De son bras meurtri, souvenir des ruines, et tenait fermement son épée, dont la lame s’était fissuré.

C’était le son que kéa avait entendu. La lame de Ian se fissurant. Mais était-ce dû à la foudre ou cela, venait-il d’un mal plus profond ? Il avait la tête baissé, les yeux fermé et la mâchoire serrée. Il émanait de lui une colère sourde.

Un second coup de tonnerre gronda, Ian rouvrit ses yeux qui était non pas bleu comme elle s’y attendait, mais d’un blanc immaculé lui rappelant sa propre lumière. Une lumière intense et instable. Il lâcha son épée et poussa un cri tonitruant, un cri si brutal et sincère que Kéa ne put retenir les larmes de ses yeux. Un son plus lourd accompagna le cri, comme un écho de la montagne, un avertissement.

L’ange resta un moment à le regarder, ne sachant pas ce qu’elle devait faire. Ian s’était tu… Ses yeux étaient redevenus d’un bleu éteint, presque gris. Une larme coula le long de sa joue. Elle aussi était fissurée comme le fil de sa lame. Puis d’un pas souple elle s'approcha de lui. Elle savait qu’elle ne pourrait pas l’apaiser. Que sa colère était trop profonde, trop encrée. Mais elle pouvait être là pour lui, pour l’aider. Elle lui avait promis, qu’elle serait là pour l’aider.

Elle posa sa main froide sur la joue de l’être rêvé pour essuyer cette larme.

- Je suis là.

La forêt regorgeait de mousses, de fougères et de champignons bien cachés en cette période de l’année. C’est pourquoi Ignis avait décidé de s’y rendre pour récolter ces quelques précieux ingrédients aux vertus inconnus pour le commun des mortels. Bien que ce ne soit pas dans ses habitudes, elle avait accordé un grand soin, et beaucoup trop de temps d’ailleurs, à nouer ses longs cheveux de jais en une tresse grossière qui retombait dans son dos dans l’objectif vain de s’en débarrasser quelques heures, alors qu’elle s’agenouillait sur le sol mou de la forêt. Quelques mèches rebelles lui barraient le visage par intermittence et elle pestait mentalement à chaque fois qu’elle devait les replacer derrières ses oreilles pointues. Sydän, l’immense loup dont elle avait croisé le chemin de vie et qui ne la quittait plus à présent, se tenait à quelques mètres, couché dans un parterre d’herbes hautes, les yeux mi-clos. Rien ne semblait pouvoir troubler la quiétude du moment. Intéressée par une fameuse plante urticante bien connue des grands chefs, la petite fée retenait sa respiration lorsqu’un cri de rage déchira l’air et la fit sursauter.

- Aïe ! S’écria-t-elle vivement, attrapant les doigts meurtris de sa main encore valide.

D’un même mouvement, Sydän se redressa vivement, les muscles tendus. Une larme monta à l’œil d’Ignis alors qu’elle observait, impuissante, sa peau blanche virer à l’écarlate. Il ne lui fallut que quelques instants pour réaliser la situation : elle s’empara d’une autre feuille – plus jamais elle n’essaierait de toucher cette hérésie à mains nues – et s’empressa de la frotter sur sa peau rougie. Dans un même temps, elle sondait les horizons de ses sens de fée pour identifier l’origine du cri, et peut-être même son auteur. Tout proche d’elle se trouvait quelqu’un qu’elle connaissait. Intriguée bien plus qu’elle ne s’y attendait – la fée ne se ferait jamais à l’idée de ressentir ses émotions en double - elle livrait une bataille intérieure avec sa mémoire pour reconnaitre l’âme qui se tenait quelques arbres plus loin. Elle n’était pas sûre.

Lorsqu’elle se mit enfin en marche, Sydän lui emboita le pas à grande vitesse. La personne devant eux se déplaçait elle aussi, et vite. Le loup dépassa bientôt Ignis qui, de ses petites jambes, était bien démunie à la course poursuite. A mesure que l’animal se rapprochait de leur cible commune, les sens d’Ignis semblaient s’affiner, et sa mémoire revenir. Elle accéléra le pas, elle voulait voir ce « mystérieux connu » de ses propres yeux. Le feuillage se faisait moins dense, les arbres plus rares, et le sol plus dur. Ils sortaient de la forêt. A l’orée du bois, la petite fée marqua une pause. Elle leva ses yeux de cobalt sur le paysage qui s’étirait devant elle et jusqu’au firmament : les Montagnes. Imposants pics coiffés de nuages gris et noirs et n’inspirant pas du tout confiance. Un frisson lui parcouru l’échine et Sydän s’ébroua. Elle reprit sa marche, posant des pas légers sur le sol rocailleux et entamant l’ascension qu’elle n’était que peu sûre de mener. Elle distinguait à présent la silhouette devant elle et ses sens lui confirmèrent son identité : Ian.

Cela faisait des années qu’elle n’avait pas croisé l’irréel. Tant qu’elle n’était même pas sûre de le reconnaitre si elle le croisait dans les rues pavées de la Cité Blanche. Enfin. Ce n’était quand même pas rassurant de reconnaitre une âme sinastrienne après avoir entendu un tel cri que celui de la forêt. L’empathie d’Ignis la poussa à emboiter le pas au rêve et elle était bien déterminée à comprendre ce qui se tramait. L’inquiétude qui alourdissait son cœur se mêlait avec l’agitation de Sydän, qui allait bon train devant elle ne sachant s’il fonçait vers le danger ou la proie. Aucun des deux sans doute, puisque Ignis cru distinguer, loin devant elle, le rêve jeter sa lame contre pierre. Il semblait en proie à une rage incontrôlée et incontrôlable, ou à un chagrin plus fort que beaucoup n’auraient connu. Ignis se mit à courir, ses jambes nues transperçaient à présent une couche de neige poudreuse, légère et glaçait, bleuissant l’épiderme de la fée. Mais elle ne semblait plus rien sentir. La force que Sydän lui accordait en la tractant mentalement sur le chemin escarpé l’empêchait de réfléchir.

Avant même de la voir, Ignis distingua une nouvelle présence. Une âme meurtrie elle aussi, un être déchiré que la petite fée ne reconnu pas. Elle eut du mal à localiser sa présence, et s’accorda sur une certitude : elle volait. Avec l’épais coton formé dans le ciel sombre, la fée ne prit même pas la peine de lever le regard de son objectif, elle savait qu’elle n’y verrait rien.

Elle courut ainsi un moment, gainée par la force du prédateur qui la précédait sans la devancer, et par tout le courage dont son petit cœur était capable. Affronter les Montagnes du Nord n’était pas une mince affaire. Peu de Sinastriens s’y aventuraient et à raison : le vent arrachait des larmes à la brune et gelait ses lèvres à mesure de sa progression. Mais son corps tint le choc : un nouveau cri retentit, bien plus profond, plus lourd, comme chargé de toutes les émotions négatives que peut porter un être. Le temps sembla suspendu, le cœur de la fée rata un battement, et les Montagnes firent écho à la rage, au désespoir peut-être, qu’avait exprimés le rêve.

Heureusement pour Ignis, Ian s’était arrêté. La dernière présence était également là, avec lui, et effleura sa joue d’un geste lent et doux. La fée avait cessé sa course et progressait à présent à pas mesurés. Elle distinguait parfaitement la personne qui faisait face à Ian, lui faisant face également. Il s’agissait d’une jeune femme, petite et menue, à la chevelure immaculée à l’instar de presque tout ce qui les entouraient à présent. Impossible pour Ignis de mettre un nom sur ce visage triste. Dans son dos tombaient d’immenses ailes de plumes, blanches également. Sydän avait attendu Ignis et se trouvait à présent à sa hauteur. Leurs épaules se frôlaient presque et la fée pouvait ressentir l’intense chaleur qui émanait du pelage brun. Ils arrivèrent dans le dos de Ian et s’arrêtèrent de concert, à quelques mètres des deux âmes meurtries. Ignis sentait son cœur battre plus fort dans sa poitrine : l’air lourd et les sentiments portés par chacun rendaient le moment interdit. Elle savait que la jeune femme devant elle les avait vus, ou les verrait bientôt, et elle ne pouvait pas briser cet instant.

L’air était glacial et menaçant. La montagne semblait gronder son mécontentement comme un avertissement, comme sonnant le glas pour quelqu’un ou quelque chose. Allait-il mourir ? Est-ce que tout cela annonçait la fin d’une époque ? La fin d’un mythe ? Allait-il s’éteindre, que cela soit au sens propre ou au figuré ? Allait-il définitivement briser sa lame ?

Le bout de sa barbe et de ses cheveux commença à se vêtir d’un léger manteau de glace. On pouvait distinguer sa peau légèrement bleuir le long de son torse et de ses bras. Sa respiration était lente, en parfaite inéquation avec les battements de son cœur dont l’on pouvait presque distinguer le son à travers le sifflement du vent sinistre. Mais il ne ressentait rien de tout cela, son esprit semblait totalement dissocié de son corps, au point où l’on aurait pu se demander comment il pouvait tenir encore debout dans son état. Son esprit lui, vagabondait dans les méandres de ses pensées, si quand bien même il s’agissait des siennes… avait-il déjà seulement vécu quelque chose ? Il repensait alors à ses amis… à Evanesqua, Elena, Ashlynn, les seules âmes qu’il n’ai jamais vraiment aimé… toutes les personnes qui avaient de l’importance pour lui étaient soit portées disparues, soit mortes.

Soudain, des pas, deux femmes et un animal. Ian grinça des dents. Que se passait-il ? Son esprit lui jouait-il encore des tours ? Était-il encore…

-Je suis là.

Cette phrase l’électrisa autant que la main posée contre sa joue. Cette main et ce toucher était à présent ancré dans sa mémoire à tout jamais. Il revint sur terre à une vitesse ahurissante, ses muscles se décontractèrent et ses pupilles reprirent vie pour apercevoir l’Ange devant lui. Kéa… il sembla s’apaiser un instant. Pourquoi étaient-ils subitement liés tous les deux ? Il n’en savait rien mais cela lui était presque égal. Bien que cette question fût probablement la plus importante, il ressentit un tel apaisement que cela n’avait plus aucune importance…

Tout lui revint alors et ses sens également, il tourna légèrement la tête… Ignis. Combien d’années s’étaient écoulées depuis qu’il l’avait vu pour la dernière fois ? Pourquoi faisait-elle réapparition subitement aujourd’hui en même temps que l’Ange ? Comment cela était possible ? C’était improbable pour lui, ayant laissé toute lucidité au placard, le calme l’abandonna peu à peu.

Une puissante lueur s’échappa de son bras gauche meurtris et il saisit de nouveau le manche de son épée, comme dans un réflexe de survie. Ses yeux s’illuminant de plus en plus et très légèrement, il posa sa main droite contre celle de l’Ange sur sa joue et planta son regard dans le sien, le visage dur et son cœur ne se freinant pas d’une seconde. Il ouvrit la bouche, parlant d’une voix cassée et à peine audible, il s'adressa aux deux jeunes femmes.

-Que faites-vous là ?

Une éternité sembla passer dans l’esprit de Ian, un flot de questions pénétra son esprit. Repensant à la fameuse nuit dans les ruines, au réveil du priant, à sa rencontre avec Ignis et à tout ce qu’il avait vécu jusqu’ici. Était-ce vraiment arrivé ? Avait-il déjà seulement combattu réellement ? Avait-il déjà seulement aimé réellement ? Avait-il déjà seulement vécu ? Son esprit s’embruma de plus en plus à mesure que ses yeux redevinrent d’un blanc immaculé, de la lumière s’échappant de la plupart des cicatrices, il ressenti une profonde vague de doute et d’impuissance suivi de colère.

Dans un geste brutal, pestant dans un léger cri d’effort, il tendit le bras vers Kéa afin de la saisir avec force par le haut sa robe blanche qu’on l’entendit légèrement craquer sous sa poigne. Il l’a ramena avec force vers lui et dans un second geste, il retira vivement son épée du sol de son bras gauche et la pointa avec hargne vers Ignis et hurla.

-Que faites-vous ici ?! Pourquoi maintenant ?!

La nature se tût un instant, le tableau semblait irréel. La posture aussi menaçante que défensive, Ian se tenait là, le dos droit, le corps meurtris et gelé par le vent. Entouré des deux jeunes femmes, il paraissait encore plus grand et imposant, n’importe qui le connaissant bien savait qu’il n’y avait pas de place à la rigolade ou au doute, il était au bord du précipice, n’ayant plus grand-chose à voir avec le Ian bienveillant d’autre fois. Soutenant de son regard illuminé celui de la fée, il termina.

-Répondez !!

Invité

Au contact de la main de l’ange, Ian semblait s’être apaisé. Kéa apercevait du coin de l’œil une autre présence que la leur. Il y avait quelqu’un d’autre sur cette montagne sous cet orage. C’était une fée, aux ailes mauves nervurées de noir, l’ange ne la connaissait pas. Mais ses ailes ne lui étaient pas totalement inconnue elle les avait déjà vu dans la foule des Sinastriens. Elle était accompagnée d’un loup. L’ange eu un pincement au cœur. Ce loup lui rappelait qu’elle aussi autrefois, avait eu un animal fidèle marchant dans l’ombre de ses pas. Mais Siaé était finalement mort de vieillesse.

Elle se demandait ce qu’une fée faisait aussi haut dans les montagnes. Pourquoi s’était aventuré sur un terrain aussi peu propice au gens de son espèce. Dans le froid, la neige et la tempête. Kéa elle, avait toujours aimé les montagnes. Et la neige, elle avait participé à sa création, elle en portait d’ailleurs le nom.

Ian tourna la tête dans la direction de la fée, mais contrairement à l’ange, il semblait reconnaître cette dernière.

Au fur et à mesure, Kéa remarqua que le rêve perdait le peu de lucidité qu’elle lui avait fait retrouvé. Le bras gauche de ce dernier projeta une puissante lumière blanche. Rappelant à l’ange ses événements qui s'étaient passé quelques semaines plus tôt. Deux semaines, déjà, pourtant, aux yeux de Kéa, c’était comme s’il ne s’était écoulé qu’une poignée d’heures. Tout était mélangé dans son esprit. Et elle aussi perdait pied, et glissait hors de la réalité. Comme si cette réalité n’était plus vraiment la sienne.

-Que faites-vous là ? Elle pouvait sentir la confusion, la douleur et la colère de Ian. Elle était figée, elle ne savait pas quoi faire. Elle était incapable de répondre à cette simple question. Que faisait-elle là ? Encore une fois, elle ne le savait pas. Encore une fois ça avait été comme si une force l’avait traînée ici.

Kéa se perdait dans ses propres doutes et ses propres questions. Elle remarquait à peine le corps de Ian bleuir de froid, ni même cette lumière qui pulsait dans ses veines, s'échappait de ses cicatrices et allumait une lumière brûlante dans ses yeux. Elle se sentait, comme hors du temps et de l’espace. Sa propre lumière se ternissant. Elle le sentait.

Et comme un coup de tonner elle comprit. Peut-être n’avait-elle jamais vraiment appartenu à ce monde, à cette réalité. Peut-être était-elle comme l’être rêvé ? Une pièce rapportée qui ne trouverait jamais vraiment sa place dans ce monde qui n’était pas le sien ? Peut-être que c’était ça qui les liait l’un à l’autre ?

Mais Kéa fut brutalement ramené à l'instant présent, quand Ian empoigna de haut de sa robe d’un geste brutal accompagné d’un cri. Il rapprocha le corps de l’ange contre le sien faisait craquer les coutures et le tissu de la robe. Kéa en eu le souffle coupé. Elle se retrouvait sur la pointe des pieds contre le corps de Ian qui avait la tête et l’épée pointé vers la fée.

-Que faites-vous ici ?! Pourquoi maintenant ?!

La nature retint son souffle également, ne laissant résonner que la question de l’être rêvé. Ce dernier avait les yeux rivés dans ceux de la fée.

-Répondez !!

L’urgence qu’il y avait dans sa voix fini de ramener complètement Kéa à la réalité.

-Ian, lâche moi. Elle avait parlé d’une voix douce et posée. Je ne veux pas te blesser, mais si tu ne me lâches pas de ton plein grès, je te forcerais à le faire. Il n’y avait aucune colère dans la voix de l’ange, juste un avertissement.

Anarion marchait dans la vallée, en quête, comme souvent, d'herbes médicinales. La nuit était claire et la lune brillait de mille feux, éclatante sous le ciel pur, à tel point que même s'il avait été humain il aurait sûrement pu y voir comme en plein jour.
Il était en train de suivre un sentier qui s'égarait dans un bosquet, en quête de dentelle de lune, lorsque quelque chose entre deux arbustes attira son regard: une lueur étrange sur la montagne. Il hésita, sachant que sa curiosité lui attirait assez souvent des ennuis; cependant il savait aussi qu'il arrivait toujours à s'en sortir. Assez rapidement donc il fit demi-tour, renonçant à sa recherche botanique, afin de mieux observer les montagnes.
Lorsqu'il sortit enfin, il put voir les nuages amoncelés sur les hauteurs, qui, vu l'obscurité qui se trouvaient sous eux, devaient pluevoir - ou plus probablement neiger, à cette altitude; et là, dans la tourmente, il voyait un minuscule point de lumière blanche (qu'il n'aurait sûrement pas pu voir sans ses yeux d'elfe), qui ne ressemblait absolument pas à la lueur orange dégagée par un feu d'habitation ou une torche. De la magie était sûrement à l'oeuvre... était-ce une bonne idée d'y aller? Il hésita pendant quelques secondes avant de s'avancer sur le chemin qui montait jusqu'aux sommets. Il irait cueillir la dentelle de lune une autre nuit.
Il siffla deux notes hautes, et Fëanor apparut dans une gerbe de flammes. Le renard de feu sautilla joyeusement entre ses jambes, manquant de le faire trébucher, puis se calma et marcha à ses côtés, dissipant de son corps ardent les ténèbres alentours. Anarion aimait beaucoup voir les flammes danser sur le pelage de l'animal, mais il était sûrement plus prudent d'être discret...

- Serilye, dit-il à Fëanor, ce qui voulait dire: éteins-toi. Le renard obéit, les flammes disparaissant sous le vent léger qui tombait des montagnes, jusqu'à ce qu'il ressemblât à un renard roux ordinaire.

Maintenant qu'il se trouvait au pied des montagnes, Anarion ne pouvait plus voir si la lumière était toujours là... elle aurait sûrement disparu s'il ne montait pas assez vite. Il doubla presque sa vitesse de marche à cette pensée, une vie d'errance de ville en ville lui ayant procuré une grande endurance.

- Répondez !

La voix de Ian, forte et glaciale, heurta Ignis de plein fouet et résonna contre les pics rocailleux qui les entouraient, assombrissant encore un peu plus ce tableau nocturne et orageux. Le tonnerre qui grondait, les nuages qui tournoyaient dans le ciel noir et le vent froid qui lacérait les peaux trop nues de nos protagonistes n’étaient-ils qu’un simple clin d’œil de la Nature ou une réelle conséquence de la colère qui bouillonnait dans le cœur du rêve ? La fée eut un mouvement de recul les paumes ouvertes devant elle en signe d’innocence. Une surprise trop forte peut-être, et Sydän se porta instantanément sur ses gardes. Les muscles bandés, il adopta une posture défensive et fit face à Ian, se plaçant de manière à ce que son corps fasse barrière entre la fée et l’être irréel. Malgré l’épais pelage brun, on pouvait clairement deviner l’incroyable musculature qui roulait dans ses épaules. Les babines retroussées et le nez plissé, on découvrait à demi les crocs étincelants de l’animal qui confirmaient l’intention ferme de dissuasion évoquée par les prunelles d’or et les oreilles abaissées. Pour clore l’image, les pattes tendues et fermement ancrées dans la neige témoignaient d’une force de saut et de frappe peu commune. La bête était prête à bondir et se jeter sur l’homme en face d’elle au moindre mouvement suspect, et elle ne garantissait rien de bon.

C’est là qu’Ignis réalisa que Ian ne paraissait plus du tout celui qu’elle avait connu. Déjà, elle ne se souvenait pas de l’avoir connu si… âgé. Dans sa mémoire, bien que le souvenir soit lointain, elle se rappelait d’un jeune homme, d’apparence à peine plus âgé qu’elle : peut-être d’une demi douzaine d’années, tout au plus. Aujourd’hui elle lui donnait le double de son propre âge. Mais ce qui la choquait vraiment, c’était les cicatrices qui barraient sa peau, les longues brûlures qui lacérait son bras gauche et finalement l’aspect meurtri de ce corps. Qu’était-il arrivé au rêve pour qu’il se retrouve dans cet état ? D’une main il avait empoigné l’ange par le col, et la soulevait presque de terre. De l’autre il brandissait vers la fée sa lame fendue et malgré l’état pitoyable de son bras, il la tenait vigoureusement, comme si la rage qui l’animait l’empêchait de ressentir toute douleur physique. Il était là, tenant en joue une jeune femme et maintenant fermement l’autre, comme s’il voulait contrôler le moindre geste qu’elles auraient pu faire, la moindre réaction agressive qu’elles auraient pu avoir à son égard.

Les yeux de l’homme avaient blanchis et une lueur étrange, blafarde, s’en échappait. De ses cicatrices également, qui barraient sa peau bleuie par le froid, émanait cette même lumière sinistre. Ignis en resta coi. Ian semblait absent, et dans ces prunelles blanches Ignis ne voyait rien. Un frisson remonta le long de son échine : ce n’était pas le froid, mais bien sa propre inquiétude qui s’exprimait. En réponse, le Loup protecteur laissa échapper un léger grognement, sans faillir de ses appuis. Ignis ne voyait rien, non pas qu’elle ne puisse pas deviner quelconque sentiment en Ian, mais voilà, les iris irradiées ne reflétaient que le vide émotionnel du rêve : comme si celui-ci n’était plus avec elles mais absent, absent de cette terre qu’Ignis commençait à ressentir. Un autre frisson la parcourut, témoin tant du froid qui s’infiltrait jusqu’à ses os que de sa frayeur muette. Heureusement pour elle, la « femme blanche » prit la parole la première et Ignis pria intérieurement pour qu’elle détourne l’attention de Ian.

Mais c’est l’attention d’Ignis qui fut détournée la première, quelqu’un arrivait derrière eux, elle le sentait, tout au loin. Elle n’aurait pu dire qui ou quoi, mais quelqu’un arrivait. Elle ne laissa pourtant rien paraitre, arborant du mieux qu’elle pouvait son air innocent pour dissuader Ian de s’en prendre à elle. Malgré tout, la peur formait une petite boule insidieuse dans sa gorge et ses prunelles où des lambeaux noir se mêlaient à l’azur changeant la trahissaient.

Ian, lâche moi

L’écho de la voix de Kéa résonna dans son crâne, pénétrant les tréfonds de son esprit incertain. Sa voix se muant à travers les biens nombreuses voix qu’il entendait déjà, voix de ces souvenirs revenant incessamment dans ses pensées. Il entendait les cris de ses victimes, les pleurs de ses amis, les joies de ses amours et la peur de ses oublis. Un frisson lui parcouru l’échine et ses yeux commencèrent à revenir à la normale.

Observant distraitement puis avec de plus en plus de lucidité Ignis, inquiète et incertaine, puis son loup, menaçant et fidèle, il pensa en boucle à la phrase de Kéa. Ses muscles et se détendirent et il baissa le regard, lâchant sa poigne pour laisser Kéa retomber sur ses pieds nus. Son dos s’affaissa et sa garde se baissa légèrement, le bras toujours tendu vers Ignis mais la lame pointant vers le sol. La lumière de son bras gauche ne désamplifiait pas mais son regard était revenu, il laissa ses yeux parcourir le vide.

-Que dois-je faire ?... Lâcha-t-il de sa voix brisée. La lumière s’émanant de son bras gauche commençant peu à peu à recouvrir la garde de son épée, puis le tranchant, comme des sortes petites écailles lumineuses.

-Je ne sais plus ce que je dois être. Il termina sur ces mots et le milieux de sa lame se volatilisa comme dans une poussière d’étoile à peine perceptible. Sans un bruit et comme le symbole de son état actuel, le bout son épée tomba sur le sol enneigé, laissant Ian le bras tendu avec le restant de son arme.

Le tonnerre gronda de nouveau et le rêve posa durement un genou à terre, crachant une gerbe de sang, glissant le long de sa mâchoire. De sa main droite, il s’essuya la bouche avant de jeter un œil sur le bout d’épée qui lui restait, restant de longues secondes à la regarder, comme à moitié éteint. Le spectacle faisant peine à voir.

Alors petit ?

Il n’avait de cesse d’entendre cette voix. Il en avait assez d’entendre cette voix. Pourquoi celle-ci ? Tout le temps en permanence ? Pourquoi l’homme pour qui il n’avait jamais existé était celui auquel il pensait le plus au moment où lui-même doutait de son existence ? Quel était le lien avec lui ? Quel était le lien avec Kéa ? Regardant son bras meurtris, image de sa condition incertaine, il déglutit et dans un sanglot inaudible, Il empoigna avec hargne l’épée brisée de sa main ensanglantée.

On abandonne déjà ?

Avant de lever son bras avec la ferme intention de trancher son bras gauche dans un cri désespéré et une envie incohérente de se savoir en vie.

Invité

L’ange chercha à pénétrer les pensées du rêve. Mais le rêve n’en était plus un, il s’était transformé en cauchemar. Sa tête était remplie de cris, de pleurs, mais aussi d’éclat de joie. Un tumulte incessant. Un cauchemar qui devait tourmenter les priants encore endormis. Est-ce qu’ils le resteraient ? Où est-ce que cette instabilité émotionnelle n’allait pas provoquer leur réveil ? Ian n’avait pas remarqué que Kéa était entrée dans ses pensées. Elle en ressorti aussi sec avec la nausée. Une boule d’angoisse de format dans sa gorge. Elle avait été le déclencheur de ce rêve virant au cauchemar. Mais est-ce que quelqu’un l’avait orchestré ? Où est-ce simplement le hasard ? Kéa avait du mal à croire à un simple hasard. Le hasard ne faisait pas si bien les choses. Il n’aurait pas fait se lier deux entités comme Kéa et Ian. Non, il y avait quelque chose ou bien quelqu’un à l’œuvre derrière tout ça.

Les yeux de Ian redevinrent de leur terne couleur bleue. Mais ils restaient vides. Ses muscles se détendirent et il lâcha prise s’affaissant sur lui-même. Kéa retomba sur ses pieds en vacillant quelques secondes. Ian, son bras gauche toujours aussi lumineux laissait retomber la pointe de son épée fendue au sol. Par fatigue ? Ou par signe de résignation ? Kéa l’ignorait. L’esprit de l’être irréel était impénétrable.

-Que dois-je faire ?... Lâcha Ian d’une voix brisée. La lumière émanant de son bras commençait peu à peu à recouvrir la garde de son épée, puis le tranchant, comme des sortes petites écailles lumineuses. Si l’instant n’avait pas été si dramatique, l’ange aurait trouvé ça très beau. Mais en ces circonstances cela annonçait un changement radical dans la nature profonde du rêve. L’ange en frissonna. La peur s’emparait lentement d’elle.

-Je ne sais plus ce que je dois être.

Et comme si c’était le signal qu’elle attendait depuis longtemps, une fois le dernier mot prononcé par Ian, le milieux de sa lame disparut en une poussière d’étoile que Kéa ne put s’empêcher de trouver magnifique. Le bout de l’épée chuta sur le sol enneigé. Le tonnerre gronda de nouveau, et la pluie devenait de la neige glacée, et bientôt l’orage se transformait en tempête de neige. Ian posa un genou au sol toute un crachant du sang. L’éclat vermeil sur le sol immaculé fut rapidement recouvert par une nouvelle couche de blanc.

Le cœur de Kéa se serra, manquant des battements. Elle empêchait ses larmes de couler. Puis replongea dans les pensées du rêve, elle espérait pouvoir le sortir de sa transe, mais elle y perçut une voix sinistre.

Alors petit ?

À qui appartenait-elle ? L’ange ne l’avait jamais entendu. Puis Kéa comprit, peut être même avant que Ian ne se le formule à lui-même, son envie d’en finir avec tout ça. Le rêve regardait son bras meurtri, il déglutit puis il empoigna le reste de sa lame.

On abandonne déjà ?

Cette voix résonnait encore et toujours dans la tête de Ian. Kéa avait envie de l’étouffer, de la faire taire. Elle était en colère contre cette voix qui semblait pousser le rêve à des actes désespéré. L’ange sortit une fois de plus de la tête du rêve. Et ses larmes coulaient de rage et de tristesse. Que devait-elle faire ? Elle avait peur d’agir et d'aggraver une fois de plus la situation. Elle avait l’impression que, quoi qu’elle fasse, cela promettait douleur, souffrance et confusion chez Ian. Mais il lui était physiquement impossible de ne pas intervenir.
Dans un geste tout aussi désespéré que celui du rêve, l’ange se laissa tomber au sol face à Ian et elle l'emprisonna dans ses bras. Interposant son corps entier entre le reste lame de la main droit du rêve et son bras gauche. Elle ne sut contrôler sa force et entendit quelques os craquer sous la pression de son étreinte.

Kéa se fichait de ce qui les entourait. Elle était à peine consciente de la fée qui se tenait à quelques mètres d’eux, du loup se tenant à ses côtés, de la personne qui gravissait la montagne pour venir à leur rencontre. Elle se fichait de tout, de sa propre lumière qui se ternissait, de ses pensées qui s’assombrissait, de la folie qui la guettait, de cette puissance malfaisante qu’elle sentait en elle.

Tout ce qui lui importait, c’était ce corps qu’elle tenait entre ses bras. Cet être qui même irréel méritait qu’on se batte pour lui. De cet esprit qu’elle pouvait peut-être sauver de la folie à défaut de sauver le sien. De cette souffrance qu’elle ressentait et qu’elle savait qu’elle était celle de Ian. Elle voulait faire taire les voix qui obscurcissaient ses pensées. Faire plonger un monde entier dans le coma si cela lui permettait de vivre et d’exister pleinement.

Kéa pleurait. Elle ne comprenait pas ce qui la poussait à agir de la sorte. Elle hurla à plein poumon tout en gardant Ian dans ses bras. Elle ne voulait pas le lâcher. Elle se sentait comme prise au piège, comme un animal blessé.

Puis dans un murmure que seul Ian pouvait entendre, elle dit :

- Tu existes pour moi.

Devant Ignis se déroula une scène incompréhensible. Contre toute attente, Ian baissa sa garde. Il semblait livrer une bataille intérieure dont la fée n’avait aucune idée. Son regard retrouva sa couleur, et Ignis chercha à le croiser, déterminée à comprendre ce qui tourmentait ainsi le Rêve. Mais celui-ci ne lui en laissa pas la possibilité. Ses épaules s’affaissèrent, ses bras retombaient lentement : il semblait démuni. Sydän baissa également la garde, Ignis éprouvait à présent beaucoup trop d’empathie envers Ian pour se montrer agressif. La lame de Ian se brisa, rompue en son centre par un quelconque procédé magique. Elle pendait là, au bout de ses doigts meurtris, brisée comme il l’était lui-même.

Ignis voulu s’avancer, esquisser un geste, tendre la main vers Ian ou finalement le forcer à croiser son regard. Mais il n’en fut rien. Et alors, sans qu’elle ne puisse comprendre réellement pourquoi, Ian empoigna fermement le reste d’épée et, dans une fraction de seconde qui parut une éternité, la leva au-dessus de sa tête, exposant son bras brulé à sa propre folie. La fée hurla, Sydän laissa échapper un glapissement, et tous les deux bondir en avant d’un même mouvement instinctif. Mais l’ange les avait devancés et elle se jeta sur Ian, faisant barrage avec son corps. Dans le même élan, elle aussi avait hurlé et la fée, par ses sens fins, devina les mots murmurés dans l’étreinte. Les bras ballants, elle les observait impuissante mais soulagée que la jeune femme ait empêché Ian de se mutiler. Elle savait au fond d’elle que cet apaisement ne durera pas, mais pour son petit cœur, c’était beaucoup d’émotions à digérer et elle profita du court instant pour souffler mentalement.

Ne sachant pas ou était sa place, et ayant complètement oublié l’inconnu dont elle avait senti la présence quelques minutes auparavant, elle s’approcha des deux jeunes gens à terre. Ils paraissaient incroyablement liés, la tension qui régnait était palpable et si Ignis se concentrait, elle aurait presque pu entendre leurs cœurs battre à l’unisson.

Contournant Ian dans son dos – il lui semblait à présent inoffensif et les ailes de l’ange prenaient tout de même de la place de l’autre côté – Ignis s’avança vers le bras le plus « sain » de l’Irréel, celui qui tenait l’épée. Ses pieds marquaient la neige glacée de traces légères, aussitôt suivies par celles du loup, bien plus larges que celles de la jeune femme. Sydän était méfiant, il sentait qu'Ignis avait en tête quelque chose qu’il n’aimerait pas, qui ne lui convenait pas. La fée s’agenouilla auprès de Ian et Kéa sans même prêter attention à leurs visages si proches, et à ce qu’elle aurait pu y lire. Et dans une lenteur mesurée, elle posa une main douce mais ferme sur l’avant-bras de Ian et se saisit de la lame de l’autre. Elle ferma ses doigts blancs, presque bleus de froid, sur l’acier trop coupant qui lui entailla la paume. Si elle devait forcer contre Ian pour lui faire lâcher prise, elle n’y arriverait sûrement pas. Mais elle était intimement persuadée que l’étreinte de l’ange et son geste doux suffiraient au Rêve pour relâcher la tension. Sydän était tapi un peu en retrait, sur ses gardes pour assurer les arrières de sa fée bien trop téméraire et stupide à son goût.

Au début, Anarion était d'humeur plutôt décontractée. Il s'exercait à reconnaître les différentes plantes et arbres, à reconnaître les cris des animaux nocturnes; mais tandis qu'il grimpait la montagne semblait le prévenir. Le vent, de doux et calme, devint froid et sifflant; les animaux cessaient d'aller et venir paisiblement pour se terrer à son passage; l'atmosphère elle-même semblait s'alourdir et s'assombrir. La nature entière sentait que quelque chose de... de grave? d'intense? quelque chose d'important, en tout cas, était en train d'arriver plus haut.

Les arbres se clairsemèrent, le vent forcit, des rochers sortaient de terre. Il rentra dans une pluie qui était déjà de la neige fondue, et à mesure qu'il montait elle devint de la vraie neige. C'était une bonne chose pour lui: cela lui fournirait un énorme avantage en combat, d'autant plus qu'il avait encore plus d'affinités avec la neige et la glace qu'avec l'eau liquide.
La nuit était d'encre à cause des nuages, et même lui ne pouvait voir bien loin. Mais il revit soudainement la lumière devant lui, et elle semblait assez proche; il s'élança alors dans sa direction, Fëanor gambadant avec joie dans la neige qui fondait en vapeur sous ses pattes.

- Sois prudent, mon ami, Anarion chuchota-t-il à l'animal d'une voix à peine perceptible. Le renard sembla comprendre; il se rapprocha de son maître et modéra ses bondissements, avançant le museau en avant avec circonspection. Puis soudainement un cri déchira la nuit, un cri qui surpassait les sifflements du vent. C'était un cri de fureur et de désespoir, un sanglot poignant; Anarion s'arrêta pendant quelque temps, puis, sortant sa dague, il avança, se mouvant discrètement dans les ombres sur la fine couche de neige qui cherchait à se déposer. La lumière était proche, très proche...
Et soudain il les vit, et il crut s'être assoupit et être tombé en plein rêve. L'homme était celui qui produisait la lumière, qui s'échappait de son bras d'une manière qu'il n'avait jamais vu, malgré son âge. L'homme était familier, mais à travers la tourmente blanche Anarion ne parvenait pas à mettre un nom sur le guerrier brisé. Il reconnut immédiatement, en revanche, la femme qui l'étreignait; comment aurait-il pu confondre Kéa avec n'importe qui d'autre? Et la troisième femme... elle, il ne l'avait jamais vue; de cela il était sûr. Il n'aurait jamais oublié de telles ailes, si différentes de celles de l'ange. Une fée, de toute évidence...
Que fallait-il faire? Il déboulait de toute évidence au beau milieu d'une scène extrêment tendue entre deux êtres puissants. Mais... l'homme cherchait-il à poignarder Kéa?? Il lui fallait agir! Il allait ordonner à la neige de le soulever de terre lorsqu'il comprit qu'en réalité l'ange, au contraire, cherchait à le protéger de lui-même.
A ce moment-là, Anarion renonça à s'interposer. La situation était complètement irréelle, et il n'avait clairement aucun élément pour comprendre ce qui se déroulait sous ses yeux. Fëanor, avant qu'il ait pu l'en empêcher, s'était élancé vers un autre spectateur de la scène: un grand loup brun qu'Anarion n'avait même pas remarqué. Le renard poussa un léger jappement, en quête d'un ami avec qui jouer, et Anarion renonça à le rappeler. Il resta en retrait, suivant avec appréhension ce qui se passait.

Ian sentit le corps de Kéa l’écraser de toute sa force, à tel point que l’ont pu entendre plusieurs de ses os céder sous la pression, mais il ne sentait rien. Il aurait pu être poignardé à plusieurs reprises ou brûler de haut en bas du corps, qu’il n’aurait rien sentit, bien trop dans sa trance et dans son questionnement existentiel. Peinant à garder du contrôle dans état, un bout de la lame frôla le bras de Kéa, créant une légère entaille laissant couler une fine quantité de sang de son long, qui continua sa course sur celui de Ian.

Le tableau était aussi beau que dérangeant, rien ne semblait avoir d’importance à côté de ces deux êtres tourmentés, l’un sur l’autre, larmes et sang s’entremêlant dans une folie graduelle. Leur lumière semblait se ternir en même temps, à l’image de leurs cœurs battant à l’unisson qu’on pouvait sentir battre à l’intérieur de leurs poitrines se rejoignant. Ian ne comprenait plus rien, ne relâchant pas la pression sur sa lame, il jetait des regards vides de compréhension sur l’être qui se trouvait contre lui, tentant de retrouver sa contenance, cela pouvait même se voir sur son visage, cette lutte intérieure pouvait se voir.

Il sentait les larmes chaudes de Kéa couler sur son propre visage, chacune d’entre-elles étaient comme un coup de poignard dans les pensées du rêve, toujours dans l’incompréhension et dans une trance indescriptible, imagée par ces pulsions de lumières sortant aléatoirement de ses veines. Il sentait comme un bras voulant le sauver de la pénombre, il sentait cette fougue qu’avait Kéa à le sortir de sa folie, le ramenant petit à petit sur terre.

Il sentit alors la main d’Ignis sur son avant-bras et retenu un sursaut. Il voulait se débattre mais ne pouvait plus, soit car il était à bout de force soit car simplement l’Ange lui en empêchait sans qu’il ne sache pourquoi. Une larme coula sur sa joue. Pourquoi ? Se dit-il ? Comment pouvait-il ressentir des émotions à la fois si fortes mais aussi si illogiques, lui qui n’était même pas réel ?

Kéa aussi pleurait, encore et encore. Il ne comprenait pas ce qui la poussait à agir de la sorte. Soudain, elle hurla, transperçant le vent, sans le lâcher pour autant. Un frisson qu’il n’avait jusqu’alors jamais ressenti jusqu’ici lui parcouru l’intégralité de son corps, de ses orteils jusqu’au front, de son cœur jusqu’à l’ensemble de ses organes. Il revint et ouvrit ses yeux, toujours d’un bleu terne. Son bras cessa de s’illuminer et il lâcha la pression sur l’autre main, permettant à Ignis de lui retirer la lame de la main, il comprit qu’il devait cesser de lutter.

Puis un murmure lui parvint.

- Tu existes pour moi.

Cette douce phrase chamboula tout son monde. Son cœur sembla cesser de battre. Sa respiration sembla se taire à l’inverse de l’orage toujours tonnant. Une nouvelle larme, se rougissant à mesure qu’elle glissait sur son visage vint finir sa course contre la neige. Était-ce finalement cela ce dont il avait besoin ? Une raison d’exister ? Quelqu’un pour qui exister ? La réponse semblait si évidente à cet instant précis : s’il ne pouvait pas se prouver à soi-même la raison de son existence, celle-ci n’était peut-être que destinée qu’à une autre âme que la sienne. Un coup de tonnerre gronda cette fois à l’intérieur de sa tête et cette voix, cette phrase, remplaça celle de son père, s’effaçant un instant pour ne laisser place uniquement qu’à la voix cristalline de Kéa et de cette phrase qui apaisa l’entièreté de son âme.

Peut-être reviendrait-elle, mais cela n’avait aucune importance à cet instant, où il se sentait vivant. Il posa délicatement son bras meurtris sur la tête de l’ange, colorant légèrement ses cheveux d’un rouge sang. La main tremblante, il ferma légèrement ses doigts, comme pour se raccrocher à cette sensation et d’un souffle, presque d’une autre voix, presque de sa vraie voix, il lui répondit :

-Je suis désolé…

Invité

Kéa senti la lame brisée de Ian, entailler la peau de son bras nue. Une douleur vive se fit ressentir. Elle n’aurait pas dû avoir mal, l’ange n’avait jamais mal, encore moins pour une si petite entaille. Pourquoi cette douleur ? Est-ce dû à son affaiblissement des derniers jours ? Ou à la lame brisée de l’être rêvé ? Quoi qu’il en fut son sang se mit à couler, il était fluide avec un débit lent. Rapidement, il se transforma en lumière liquide mêlé d'ombre. Comme si le contacte avec l’air lui avait rendu sa véritable nature. Se liquide étrange coula également sur le bras de Ian. Certaines veines de Kéa, progressivement, devinrent lumineuses, tandis que d’autre devenaient noir comme de l’encre.

La réalité était en train de changer. Aussi bien pour Kéa que pour Ian. Ils devraient y faire face l’un comme l’autre. Et l’ange n’arrivait pas à s’arrêter de pleurer. Son cœur était trop plein d’émotion dont elle n’avait pas l'habitude. Elle ne savait pas quoi en faire. Elle n’était pas le genre de personne à savoir gérer ses émotions, elle était le genre de personne à ne pas avoir d’émotion.

Elle sentit Ian contre elle ouvrir les yeux. Elle sentit les muscles du rêve se détendre et son bras cessa de s’illuminer. Il ne lutta pas quand la fée chercha à lui retirer la lame de se la main. Kéa non plus ne réagit pas. Elle laissa la fée s’occuper de la lame brisée. Kéa restait là accrochée de toutes ses forces à Ian le cœur battant à tout rompre. Une fois de plus, elle avait peur. Pas comme dans les ruines, mais elle avait peur que le rêve cesse d’exister. Qu’il disparaisse et qu’il emporte avec lui un morceau d’elle.

Elle décela un changement dans les pensées de Ian. Les voix s’étaient enfin tues. Ne laissant résonner que sa propre phrase.

Kéa percevait également le tourment à la peur de la fée. Elle avait peur pour Ian et c’était bien normal. Elle sentait aussi Anarion qui était arrivé et ne savait que faire. Il avait hésité à venir séparer l’ange et l’être rêver avant de comprendre qu’il ne devait pas. Mais combien de temps allait-il parvenir à rester et ne rien faire. La tension était palpable et comme pour la matérialiser l’orage grondait de plus en plus déchaînant le vent et la neige.

Ian posa délicatement son bras meurtri sur la tête de l’ange, colorant légèrement ses cheveux d’un rouge sang. L’odeur de fer envahit les narines de Kéa lui donnant légèrement la nausée. Ian tremblait légèrement. Est-ce le froid ou bien son état ? Kéa n’aurait pas su le dire. Il ferma légèrement ses doigts, il semblait se raccrocher à a quelque chose que lui seul comprenait et d’un souffle, d’une voix que Kéa ne lui avait jamais entendu, une voix qui semblait être sa véritable voix, il lui répondit :

-Je suis désolé…

De quoi s’excusait-il ? De son état ? De sa folie grandissante ? De l’avoir blessé ? D’avoir cherché à se mutiler lui-même ? Peut-être bien de tout cela à la fois. Kéa relâcha légèrement son étreinte, elle était épuisée. Elle posa son front contre le torse-nu de Ian.

-Tu n’as pas à l’être…

Sa voix était comme brisée, elle n’était même pas sûre que les mots est franchit ses lèvres. Ce fut comme si toute son énergie l’avait abandonnée. Son cœur loupa un battement et elle s'effondra mollement sur le sol dans une demie conscience. Quand sa tête heurta le sol tout s’arrêta autour d’eux. Le vent cessa, la neige qui tombait resta en suspens dans l’air tout comme les éclaires qui crevaient les nuages. Le temps autour d’eux s'était arrêté comme si lui non plus ne pouvait pas supporter toute cette intensité.

A son tour, Sydän poussa un cri, couinement de surprise à l’approche du renard. Il se retourna d’un bond, faisant face à la menace les crocs découverts et les muscles tendus. Ce n’est que lorsqu’il croisa le regard du petit animal de feu qu’il se détendit. De toute évidence, celui-ci ne venait pas en ennemi. Il ne représenterait sûrement pas une menace pour Ignis ou lui-même. Le grand loup tourna la tête sur le côté, cherchant à comprendre qui était ce si petit animal. Il s’en voulu presque de ne remarquer qu’après coup la présence de l’homme blond qui se tenait un peu plus loin. Sans aucun doute que le renard et lui étaient liés. Mais comment un si petit animal assurait la protection d’un si grand homme ? En comparaison avec la fée, le nouveau venu était grand et élancé, avec une chevelure dorait qui ondulait autour de son visage et descendait en cascade sur ses épaules. Il tranchait avec le paysage et l’ambiance sombre installée autour du petit groupe. Son armure étincelait.
Trop occupée par ce qu’elle faisait, Ignis n’avait pas prêté un seul instant d’intention au nouvel arrivant. Elle avait récupéré le morceau d’épée de Ian, et c’était tout ce qui lui importait à présent. Elle la tenait à plat devant elle, posée sur ses paumes ouvertes, et avait le regard rivé dessus, comme obnubilée par l’objet. Le métal était froid, rougi par le sang de la fée et peut-être aussi celui de Ian. L’air glacé qui balayait la scène par bourrasque avait achevé d’anesthésier ses mains frêles et elle ne ressentait pas sa morsure sur les coupures trop fraiches. Il lui était impossible de détourner ses prunelles de saphir. Elle avait presque l’impression de ne plus être ici.

Soudain, la lame la brûla et vivement elle s’en écarta, poussant un cri et envoyant l’arme s’enfoncer dans la neige dans un bruit mat. Avait-elle rêvé ? La neige ne fondait pas du tout au contact de l’objet, mais les larmes lui montaient aux yeux. Elle était presque sûre de ce qu’elle avait ressenti, comme si l’épée avait voulu… voulait qu’elle la lâche. Devenait-elle folle ? Elle ferma les yeux fort, fort, pour ne plus rien voir et ne plus rien ressentir, et elle secoua la tête pour chasser de sombres pensées. L’air lui paru plus lourd, l’ambiance était pesante. La scène avait sur elle un effet malsain qu’elle ne s’expliquait pas. Ian et Kéa étaient toujours là, mais c’est comme s’ils n’existaient plus. L’espace d’un instant, ce fut comme si plus rien n’existait ou n’avait jamais existé. Elle manqua de tourner de l’œil et se retint d’un geste, ouvrit les yeux. Sydän était là tout proche, il avait appuyé son énorme museau dans le creux des reins de la jeune femme pour ne pas qu’elle flanche. Ignis caressa son front du bout de la main : elle s’attendait à sentir le pelage était doux, rassurant sous la pulpe de ses doigts, elle voulait encore ressentir la chaleur émaner de lui, mais il n’en fut rien. Elle ne ressentait rien du tout.

Son regard se brouilla alors qu’elle essayait de comprendre ce qu’il se passait, elle n’arrivait plus à ressentir l’inquiétude de Sydän ni la présence des autres protagonistes. Elle paniqua, ouvrit la bouche pour inspirer : échec. Elle suffoquait. Depuis combien de temps était-elle dans cet état ? Elle ne savait plus. Sa vision déjà trouble se rétrécissait tout doucement, insidieusement, pour laisser un halo de lumière devant ses pupilles. Les yeux révulsés, elle cherchait un soutien du regard, mais elle ne distinguait plus les visages. Elle essaya de se lever, tant bien que mal, de s’échapper de cette situation dont elle était prisonnière, mais il n’en fut rien, elle ne put que se raccrocher au pelage de Sydän, ses mains ayant encore la force de s’agripper à quelque chose.

Sa respiration était saccadée, mais l’impression d’étouffer était une illusion. Sydän le voyait, il la soutenait, attendant qu’elle reprenne pied. Il savait – avait deviné – pourquoi la fée était dans cet état-là. Extérieurement, elle semblait en proie à une panique injustifiée, ses yeux bleu violacé étaient pourtant brillants, seules ses lèvres et sa peau perdaient leur couleur à cause du froid. La seule raison qui la poussait à bout était le froid. Ses pieds, ses jambes, ses bras, son cou et son visage exposés au vent glacial n’aidaient en rien. La petite fée du feu expérimentait l’expression « mourir de froid » au sens propre du terme.

Un éclair déchira le ciel mais le tonnerre ne gronda pas. La fée eut un hoquet et elle revint à elle, la lumière dans ses yeux la fit reprendre pied et elle se tourna, chancelante, vers Ian et l’ange et c’est là qu’elle la vit. La jeune femme aux cheveux immaculés était allongée dans la neige, sa respiration imperceptible. Elle réalisa que le temps s’était arrêté, par elle ne sait qu’elle principe, le chaos du ciel était figé. Elle fit un pas dans la direction de l’ange, mais elle tomba à son tour, à genoux, les paumes plantées dans la glace et cette fois le froid mordant était revenu lui lacérer la peau. Ses yeux toujours violacés, arborant cette couleur équivoque de douleur et de peur mêlée, étaient à présent rivés sur le corps blanc, étalé sur la neige. Elle ne voyait toujours pas grand-chose autour d’elle, son état de santé la privait de sa vision périphérique. Mais elle percevait à nouveau la présence de Ian, lointaine, et pourtant elle le savait tout proche. Que se passait-il ? Pourquoi le temps était-il en suspens ? Qu’est-ce qu’elle pouvait faire ?

Ignis tenta d’insuffler de la chaleur à la scène : le chaud, le feu, c’était réconfortant. C’était ce qu’elle avait toujours connu et qu’elle aurait voulu toujours connaitre. Mais c’était impossible. Elle n’y arrivait pas, tout simplement pas. Elle sentait au fond d’elle la maigre force de flamme pas du tout représentative de ce dont elle était capable. Alors à ce moment, elle s’en voulu, elle était devenue incapable, trop faible ne serait-ce que pour se réchauffer elle-même. Elle imaginait, elle aurait aimé, envelopper l’ange dans une chaleur calme, douce comme un foyer en hiver, comme un cocon protecteur. Elle ne pouvait pas, et elle s’en voulait. Une larme, sans doute la dernière vu son état de fatigue, roula sur sa joue et s’écrasa sur la pellicule blanche du sol où elle fit un petit creux avant de geler à son tour. Elle ne pouvait plus rien.