Un petit air de printemps

Le soleil avait entamé sa course quelques heures seulement auparavant, et il s'en écoulerait encore quelques unes avant qu'il n'atteigne son zénith. Le ciel était bleu, pur, parsemé de rares nuages cotonneux. La température était assez chaude pour que l'on se plaise à prendre l'air, mais assez fraîche encore pour se passer des affres de la canicule.

Bref, c'était une belle journée. De celles que Nathanaëlle détestait. Elle était le genre de personne à aimer la pluie et l'orage ; il en fallait pour tous les goûts.
Aujourd'hui pourtant, la semi-elfe se promenait tranquillement dans les larges allées des jardins royaux, ses cheveux lâchés tombant sur ses épaules, la cape dégrafée, le regard dans le vide et un sourire rêveur scotché sur le visage. Tout le contraire de son habitude. Elle qui mettait toujours un point d'honneur à paraître austère et guindée semblait presque normale en ce jour de printemps. Si elle l'avait voulu, elle aurait pu se fondre dans la foule, infiltrer la cohorte des lavandières traversant le faubourg pour se rendre près du lac, et elle n'aurait pas détonné. Pour une fois, nul ne l'aurait dévisagée. Les enfants n'auraient pas imité sa démarche en riant, personne n'aurait pâli à la vue de son épée. Aujourd'hui, elle ne portait pas d'épée.

Aucune dague non plus ne pouvait être vue à sa ceinture. La guerrière semblait désarmée. Ce simple constat aurait dû la rendre nerveuse, on ne sait jamais, prudence est mère de sûreté, comment se défendre si l'on n'est pas armé ?
Mais pas aujourd'hui. En ce moment précis, la sang-mêlé contemplait joyeusement le paysage qui l'entourait.

... Joyeusement ... Joyeusement ? Il n'y avait pas besoin d'être devin pour comprendre que quelque chose n'allait pas ! Cette fillette tout en longueur, au yeux rieurs et à l'air espiègle, ne pouvait pas être Nathanaëlle ! Ou alors elle n'avait pas tous ses esprits ...

Quiconque serait entré dans les jardins en cet instant n'aurait rien pu voir d'autre qu'une jeune fille souriante cueillant des fleurs dans le bonheur et la béatitude la plus totale. Émettons l'hypothèse que cette personne anonyme, ce promeneur inattendu, soit une connaissance de la semi-elfe : cette personne ne l'aurait pas reconnue.

Dans le cas inverse ... tout individu sain d'esprit aurait été prêt, choqué par cette vision, à braver tous les tourments et interdits anachroniques afin d'effectuer le seul geste sensé : appeler les pompiers.

À ce stade d'étrangeté, les petits hommes en costume rouge n'auraient surpris personne, à part peut-être la jeune fille elle-même. Pour l'heure, elle était la seule à ne se douter de rien, et elle cueillait toujours des fleurs. En chantant.

Il ne restait plus qu'à espérer que quelqu'un passe par là et se mêle à cette étrange affaire. Le cas échéant, la cité tout entière pourrait bientôt être atteinte de fleurbleuïte aigüe ... un mal très difficilement soignable.